mardi 25 mai 2010

Avoir tort avec assurance

Hervé, c'est le grand-père d'une de mes ex. Un bel homme dont la stature était aussi imposante que la voix, la prestance, l'assurance. Il a élevé ses sept enfants avec le même aplomb qu'il a mené, sa carrière durant, les employés sous sa gouverne à l'usine. Ses enfants avaient tout de même gardé un amour aussi immense qu'inconditionnel pour cet homme qui, tous les soirs, leur avait chanté en faussant une berceuse qu'ils rechantaient en choeur - en faussant aux mêmes endroits - à chaque Noël, sous les grands rires du grand homme.

De ses années manufacturières, Hervé avait gardé son ton autoritaire, ses jugements sans appel et des idées franchement anti-syndicales. C'est dire si on était peu faits pour s'entendre.

Pourtant.

Dès notre premier échange, une affection fraternelle s'était installée entre nous. Je me souviens très bien du silence familial lors d'une de mes premières interventions soulignant le bien fondé de l'arrivée de la plupart des syndicats ouvriers. Tout le monde se préparait à une décapitation en règle. Hervé m'avait regardé puis après quelques secondes de silence, m'avait lancé:

- T'as pas tort.

Le lien était noué.

Il répétait avec conviction sa maxime : «Vaut mieux avoir tort avec assurance que raison avec hésitation» et la mettait en pratique souvent, ce qui en faisait sourire plus d'un.

On s'est côtoyés avec un plaisir que je crois réciproque quelques années avant que je ne fasse une visite d'au revoir. Ce soir-là, Hervé s'était bercé plus fort que d'habitude et avait gardé le silence entre nos gorgées de bière. Il avait eu la coquetterie de ne pas enlever ses verres fumés. On s'était serré les épaules avant de fermer la porte, tous les deux sans mots. Jusque-là, je n'avais jamais cru qu'un jour, je perdrais un grand-père à cause d'une peine d'amour.

Ça m'a pris des années avant de trouver le courage d'aller le revoir. Ce n'était pourtant pas faute d'en avoir envie. Puis, le boulot, les amis, l'amour, les enfants, bref, la vie m'a étourdi, mais par personnes interposées, j'ai toujours su que j'étais le bienvenue chez lui. J'espérais bêtement aller lui présenter mes enfants cet été, jusqu'à ce que j'apprenne qu'il s'est écrasé d'un coup, ce matin, tel un chêne qui cède aux vents.

Quel con suis-je.

***

Hervé, tu m'as manqué ces dix dernières années. J'aurais tant aimé te revoir une dernière fois. Je m'en veux d'avoir tant de fois remis cette visite à plus tard. Tu vois, j'ai eu tort avec assurance.

Même si tu ne me l'as jamais chantée, ce soir, seul dans mon coeur, je chante «ta» version de cette berceuse:

Ferme tes jolis yeux

car les heures sont brèves

au pays merveilleux

au beau pays des rêves.

Ferme tes jolis yeux

car tout n'est que mensonge

le bonheur n'est qu'un songe.

Ferme tes jolis yeux.

vendredi 21 mai 2010

Aphorisme

Rêver de dormir ne serait pas une sorte de mise en abyme?

lundi 17 mai 2010

Aphorisme

Je n'ai rien contre Jésus. C'est son fan club qui m'inquiète.

vendredi 14 mai 2010

Attention, je vous écoute...

Un badaud tente désespérément de me faire la conversation alors que je marche rapidement. Derrière moi, il me lance, assez fort:
- On sait pas qui va gagner entre Boston et Philadelphie, hein?
- ...
Il poursuit, un peu pour lui-même:
- C'est un des deux, c'est sûr.

jeudi 13 mai 2010

Pour en finir avec le prix des libraires 2010

Il y a quelques jours, on a connu le titre récipiendaire du prix des libraires. Dany Laferrière et son Énigme du retour ont reçu les honneurs. Amplement mérités.

Mais depuis, plusieurs voix se sont élevées pour décrier ce choix. Chaque jour, je lis et entends des horreurs :
«on doit encourager la relève» (alors que le prix vise AUSSI à récompenser des auteurs établis);
«ce prix doit être différents des autres, ou dans le même ordre d'idées : ce choix est convenu» (bonjour l'indépendance);
«les autres livres sont bons aussi mais souffrent de compétitionner avec celui de Laferrière»;
«ce livre est déjà trop récompensé»;
«pour contester, je ne le lirai pas».
J'ai même entendu un «Mais cet auteur est-il seulement vraiment Québécois?» (sans commentaire)...

Misère.

Eh oui, le Laferrière est fort. Très fort. Excellent même. C'est triste pour les autres titres en lice, mais c'est comme ça.

«Ce livre est déjà trop récompensé. Il faut penser aux autres.»

Mais quel est donc cet argument?

C'est comme dire à un coureur olympique qu'il est trop médaillé.
«Tu sais, tu es arrivé premier à cette course de 400m. Comme tu as gagné le 100m et le 200m, on va donner la médaille d'or au 2e car il n'a pas encore reçu de médaille...»

Remettre un prix littéraire n'est pas faire de la social-démocratie. D'ailleurs, le faire serait enlever de la pertinence, de la justesse et de l'indépendance de jugement au prix littéraire en question.

Dany Laferrière et son Énigme du retour ont remporté plusieurs honneurs cette année, et ils sont tous mérités. C'est triste pour les autres bons - certains excellents, même - titres en lice, mais c'est comme ça.

Et ça n'empêche personne d'aller lire les autres auteurs dont les livres étaient de la compétition (c'est d'ailleurs un peu l'idée que Venise Landry exprime ici) . Depuis le temps que je m'occupe du prix des collégiens à mon cégep, je sais qu'il est parfois très bon de lire tous les titres en lice...

vendredi 7 mai 2010

Piqué

Ma fille est à peu près propre la nuit. Mais je préfère laisser un piqué sur son lit, parce que hep! changer des draps à 3h du matin, c'est pas mon activité préférée.

- Je vais t'aider, Papa.

Elle va de son bord du lit et étend du mieux qu'elle le peut le mètre carré salvateur.

- Voilà, dis-je satisfait.

- Mais papa! Il n'y a pas de piqué sous l'oreiller!

- Pas besoin.

- Ouiiiiiiiiii!!! Je VEUX!

Quiconque a tâté de ce genre de discussion avec un enfant voit venir le cul-de-sac. Je tente alors de lui prouver par l'exemple que l'emplacement du piqué sur le lit est stratégiquement choisi et ce, après des années d'expérience:

- Couche-toi sur le lit, tu vas voir que tu n'as pas besoin de piqué sous l'oreiller.

Ma fille s'exécute. Une fois qu'elle est couchée, je lui dis:

- Tu vois! Le piqué est sous tes fesses.

Elle me regarde, visiblement peu convaincue. Alors je continue:

- Si tu fais pipi cette nuit, où le pipi va couler?

Elle me lance un regard empli d'une totale incompréhension, et avec un ton qu'on réserve habituellement à un débile léger, elle me lance, les paumes en l'air:

- B'en... Dans la toilette!?

Et toc.
Impossible de répondre «Non, tu fais pipi dans le lit» sans discréditer des années d'enseignement.

- Euh... On joue avec tes nouvelles figurines de princesses?