samedi 27 septembre 2008

Adieu M. Newman!


C'était le dernier tour de piste de l'acteur pilote. L'inoubliable Kid, Butch Cassidy, Reggie Dunlop n'est plus. Il était partout, jusque dans nos salades!

Désormais un immortel.

mercredi 24 septembre 2008

Bureau

C'est dans la mouvance actuelle: les blogueurs exposent leur antre, leur bureau au grand jour. Comme je suis un suiveux, voici le mien...

Et avant que vous me posiez la question et malgré ce que mes étudiants en pensent: oui, je me retrouve.

Menfin, la plupart du temps...

jeudi 18 septembre 2008

Donnez-leur du gâteau...

Ce soir, à la télé, il y avait ce documentaire sur des réfugiés au Darfour. Juste après, à la même chaîne, la comédie de situation «Grosse Vie» avec ses blagues prémâchées et ses rires en canne. Le décalage était énorme, mais pas autant que cette désagréable impression que mon argent n'allait pas au bon endroit.

mardi 16 septembre 2008

La vie est un long cours tranquille

Au début, on s'assoit sur le bureau et on parle de passions. Les yeux collégiaux s'ouvrent, plus intrigués par la fougue que par le contenu, usés qu'ils sont par l'usure. On ne se rend pas compte tout de suite qu'il mouillasse un brin, que déjà quelques gouttes minuscules tombent sur notre langue, une bruine de froide lucidité adolescente:
- C'est bien beau, mais à quoi ça sert?
- On peut faire de l'argent avec ça?
- Ça compte-tu?

Alors on renouvelle le contenant, on peaufine la métaphore, lisse la blague, mais on ne fait que modifier la mise en scène d'une pièce dont le propos n'intéresse personne. C'est ainsi que nos passions deviennent répétitions et que même sans rides, on devient aussi usés que les vieux de nos débuts, ces vieux auxquels on s'était pourtant juré de ne jamais ressembler.

On simplifie les concepts pour perdre le moins de gens possibles, on accepte que les étudiants comprennent à moitié, on se dit que 65% n'est pas si mal et on se surprend à bénir des temps anciens pourtant identiques, comme si on était meilleurs que ça.

Puis, alors qu'on ne l'attend plus, il y a cet étudiant qui sans mot dire, boit nos paroles, pose des questions pertinentes, finit ses travaux en moins de deux et, pour attendre le troupeau, en fait trois fois plus pour rien, pour le plaisir. Il n'est même pas boutonneux et a les cheveux propres en plus. Et, entre deux répétitions, alors que personne ne comprend rien à si peu, il nous souffle, un vague sourire aux lèvres et une petite étoile au fond de l'oeil, que visiblement, la matière dont on le nourrit manque de substance et qu'il aimerait bien en savoir plus.

La ligne se courbe, le flotteur rouge et blanc vient de disparaître sous la surface: ça mord!

Reste à ramener lentement vers soi, à tourner le moulinet sans rien brusquer afin de ne pas briser ce fil ténu entre la matière et lui.

Puis on se dit, malgré la pluie, qu'il y a des cours qu'il est bien de faire.

jeudi 11 septembre 2008

Méprise

La première chose que j'ai constatée, c'est un vélo par terre, en plein milieu d'une voie, coin Berri et Sainte-Catherine. Puis j'ai vu un homme étendu par terre entouré de deux policiers. Alors je badaude, je m'approche, pour voir les blessures, pour voir à quel point je n'y peux rien. Et je constate.

Je constate que le vélo est celui d'un policier. Je constate que l'homme par terre à le teint d'Amérique latine. Je constate qu'il n'est pas blessé mais maintenu au sol par de solides genoux légaux dans le dos qui le font grimacer de douleur, les mains bien attachées. Sans doute un voleur de sacs à main ou un petit revendeur de poudre. Je n'entends pas ce que les policiers lui disent à l'oreille, mais je soupçonne que ce ne sont pas des mots d'amour.

Circulez, il n'y a rien à voir.

Et les gens circulent, usés à ce genre de spectacle. Quelques-uns jettent des regards en biais dans lequel on peut lire «Sale petit caïd!», «Maudit immigré!» et autres «Bien fait pour toi!» Je reste un peu, pour voir, et je vois, et je me dis que ce n'est pas un boulot facile, revendeur de poudre. Ni policier.

Sur l'épaule des policiers, le haut-parleur du talkie-walkie crachent quelques mots que je n'entends pas. Les genoux se retirent. Un policier enlève les menottes au brigand à qui il jette nonchalamment quelques excuses. Ils l'aident à se relever, lui donne deux trois petites tapes ridicules dans le dos, lui disent qu'ils se sont gourés de gars, qu'il peut repartir, comme les pêcheurs font avec les poissons trop petits. Et l'homme déguerpit sans demander la monnaie, d'un coup qu'il y en aurait.

Les bras longs de la loi jettent un regard inquiet et rapide aux alentours. Peu de badauds, pas de caméra. Soulagement. Puis ils s'éloignent.

Circulez, il n'y a rien à voir.

Ce n'était qu'une méprise.

Que simple méprise.

Putain de routine.

mardi 9 septembre 2008

L'Essence de la connivence...

À la radio, on annonce le début du procès des détaillants d'essence dé-Magog et de Sherbrooke...

jeudi 4 septembre 2008

Le Roi se meurt - Cinquième (et dernière) partie

J'ai levé les yeux de l'échiquier et j'ai regardé Alexandre, l'air interrogateur.

- Tu peux pas juste dire hum hum entre mes phrases, montrer un peu d'empathie, quelque chose... Tu n'es pas un psy, tu es barman! Sois donc un barman normal deux minutes...

- Normal, normal... Je m'ajuste à la clientèle. De toute manière, après dix ans comme barman, on devrait obtenir un doctorat honoris causa en psychologie, en sociologie et en interprétation du sanskrit oral... Et comme pour un psy, ma clientèle est souvent d'une fidélité irréprochable.

- Mon ex ne devait sûrement pas être ta cliente!

Il a ri un peu. Pas moi. Il a enligné sa tour et sa dame. Ça ne sentait pas bon. Sans trop réfléchir, j'ai bougé une pièce. Il a rétorqué:

- Tout est question d'ivresse, vieux.

Je l'ai regardé, la tête baissée, les yeux dans les sourcils. En les reposant sur l'échiquier, j'ai soupiré:

- Ouain, je devais être pas mal saoul...

Il a ri encore. Cette fois-ci, je me suis trouvé un peu plus comique. Il a répondu:

- N'empêche que l'ivresse, c'est le B A ba de l'amour. Il faut que tu l'étourdisses, qu'elle se sente légère, qu'elle voit trouble, qu'elle soit saoule de toi.

- Saoule, saoule, big deal! Pompette, c'est drôle. Saoule quelques fois, c'est agréable. Mais tout le temps... Elle devient alcoolo, s'approche du delirium tremens, puis première nouvelle: elle s'imagine des trucs, elle invente des discussions... Pire: elle pète au lit! On étouffe vite dans ce genre de relation!

Sa dame a encore bougé et il a couché mon roi. Échec et mat. Encore une fois, je n'avais rien vu venir. Alexandre, le sourire en coin, a cogné son verre contre le mien encore sur le comptoir.

- Je devrais avoir un doctorat en échecs en plus...

Fier comme un paon, il est parti servir une table de pions avec le sourire du vainqueur. Deux pichets de Raftman et des shooters surmontés de crème fouettée qu'on boit sans les mains. Pas des pions du coin. J'ai pris une gorgée de Macallan. Ça m'a fait une petite douceur en dedans. Je devais me rendre à l'évidence: ce nectar m'était rendu essentiel. J'étais maintenant trop froissé pour perdre ce pli. Il fallait me résigner: j'allais mourir noyé dans le fond de mon verre à moutarde. Lentement. Mais je m'en foutais, je n'étais pas pressé.

Il était trois heures moins vingt. Encore quelques gorgées et je rentrerais. Je laisserais le grille-pain comme pourboire à Alexandre.

J'ai regardé autour de moi. J'ai souri. Pour les vingt prochaines minutes, j'étais encore le roi.

mercredi 3 septembre 2008

Le Roi se meurt - Quatrième (et avant-dernière) partie

J'ai avancé un fou qui aboyait plus fort qu'il ne pouvait mordre, sans véritable stratégie. C'était ma tactique anti-Deep Blue: agir en tout illogisme pour que l'adversaire se triture les méninges à comprendre la stratégie de mon absence de stratégie. Si c'était efficace contre un ordinateur, ce devait l'être contre un Russe... Alex changea de sujet, mais juste un peu:

- Ça fait longtemps qu'elle est partie?

On se disait les choses à moitié et on se comprenait tout de même complètement.

- Je ne sais plus, six ans. Sept peut-être. Je ne sais plus. J'ai arrêté de compter. Anyway, c'est toujours comme si elle était partie l'an passé.

J'ai laissé passé un ange avant de continuer.

- C'est idiot: j'ai quarante ans et je ne peux pas l'oublier, cette fille. Je suis comme un vétéran de guerre qui, sa vie durant, quêtera sur le coin de la rue, incapable de se refaire une vie normale après tout ce qu'il a vu, tout ce qu'il a vécu. Cette fille, c'est mon Viet Nam, ma Normandie. Quand elle m'a dit qu'elle me quittait, je pensais que c'était la fin du monde. Je n'avais pas prévu que ce serait pire après son départ. Hiroshima.

J'ai soupiré. Tout revenait toujours à Alice. Pourtant, ce que j'aimais de cette femme était devenu une idéalisation, un concept plutôt abstrait. Je passais ma vie à me rappeler qu'il fallait l'oublier... Tel un pompier qui a pour seul désir d'éteindre un feu dont il a besoin, car sans ce feu, il n'a plus rien à combattre, il perd sa raison d'être. J'en étais venu à entretenir, à nourrir ce que je voulais tuer.

J'ai avancé mon fou en C5. Légère pression sur les pions devant son roi. J'ai poursuivi:

- Il n'y a pas une semaine où je ne me dis pas au moins dix fois que j'aimerais qu'elle me voie faire tel ou tel truc, là, maintenant... Qu'elle me voie tout court, en fait.

Alexandre a pris mon fou avec sa tour, pas gêné le moins du monde de prendre une pièce a un grand irradié japonais. Après un court silence, il a dit:

- Et pourquoi tu voudrais qu'elle te voie? Que fais-tu de si extraordinaire qui mériterait que ses yeux se posent sur toi?

Je l'ai fusillé du regard. Pas une balle ne l'a atteint. Pourtant, c'était à bout portant. Je devais loucher. Il est resté debout, un oeil sur l'échiquier, un oeil sur les pions qui riaient trop fort derrière moi. Alexandre devait loucher aussi.

- Ben... Qu'elle me voie pour... Heu... Aaahhh... Tu fais chier, ai-je répondu sans retenu. Je ne sais pas. Pour rien. Pour tout. Pour mes nouveaux amis, mon nouvel appartement, ma nouvelle vie! Juste qu'elle voie que je ne suis pas un crétin.

Je lui ai pris un pion qu'il semblait avoir oublié en A6. Prise inutile, mais je voulais lui ravir une pièce, n'importe laquelle.

- Et qu'est-ce qui te dit que ton ex te voit comme un crétin?

mardi 2 septembre 2008

Le Roi se meurt - Troisième partie

Lentement, sûrement, discrètement, l'Asile est devenu mon repaire, un fort où je vais sans fard, et Alexandre, une sorte de psychothérapeute à indemnité liquide que je fréquentais sans rendez-vous, un ami qui savait attendre le réponses, comme ce soir-là où juste avant de faire mon tour quotidien à l'Asile, j'avais volé un grille-pain tout chromé à la quincaillerie. Pour rien. Parce qu'il était là. Parce qu'une voix comme celle de Tatoo, le nain de Fantasy Island m'a soufflé à l'oreille «Le toaster! Le toaster!» J'avais déposé le grille-pain sur le bar et je m'étais un peu examiné dans le chrome en attendant qu'Alexandre ne se libère. J'y avais un gros nez.

Malgré le caractère biscornu de mon trophée de chasse, Alexandre n'y a pas fait allusion et m'a proposé une partie d'échecs. Depuis que je lui avais avoué qu'en considérant rétrospectivement ma vie, les échecs étaient ma spécialité, sortir le vieil échiquier en bois dès qu'il y avait moins de dix clients tenait du rituel.

On a tiré les couleurs: main droite, pion blanc, j'ouvrais la marche. Les premiers coups se sont faits en silence, entrecoupés de quelques commandes de bières des rares buveurs. Ensuite, j'ai ralenti la cadence pour réfléchir un peu... Ma réflexion prenait trop de temps au goût d'Alexandre et il a entrepris de me déconcentrer par un discours au ton professoral trop appuyé:

- Il faut se laisser en partie guider par son instinct. Il ne faut pas trop réfléchir, sinon on risque de perdre le fil, de croire en de fausses stratégies et de nager dans les regrets... Tu savais que réfléchir, ça vient de «fléchir à nouveau»? Penses-y sérieusement, ça a de l'allure...

Malgré le fait qu'Alexandre n'était absorbé qu'à moitié par la partie en cours, je n'ai pas su imposer mon rythme immédiatement. Il est vrai que le métier de barman devait constituer un bon entraînement pour les échecs. Dans un bar, il y a les pions: monsieur et madame tout le monde. Peu d'impact mais majoritaires, peu attachants mais ils permettent la survie du débit.

Ensuite, les tours assises en solitaire dans un coin. Puis les fous et les cavaliers. Alors que les premiers demeurent prévisibles en restant toujours sur leur couleur, les cavaliers, eux, sont plus finasseurs; ils vont de table en table, et quand on pense qu'ils s'installent, ils bifurquent et abordent quelqu'un, parfois un ami, souvent une jolie fille esseulée. Il y a aussi les dames, les belles femmes accoudées au bar, celles qu'on n'ose trop peu aborder. Les rois sont les habitués fiables, l'âme du bar. Tous les soirs, Alexandre doit pousser ses pions, protéger précieusement ses dames et prendre grand soin de ses rois.

Alexandre a avancé une dame menaçante, me tirant de mes pensées.

- Beau coup, Kasparov.

Il s'est mis à rire :

- Et toi, t'es qui?

- Fisher, rien de moins. Selon moi, il reste le meilleur, malgré sa retraite…

Je savais qu'il ne connaissait que très vaguement l'histoire de ce grand maître américain qui s'était retiré de toute compétition pour d'obscures raisons. Mais Alexandre aimait me faire croire que j'avais affaire à un connaisseur. J'ai avancé mon cavalier finasseur en E4.

- Ouain, ben, on le saura jamais, a-t-il poursuivi, concentré sur l'échiquier. Ce n'est pas en se retirant qu'on prouve quoi que ce soit...

Il a bougé un pion et je lui ai pris un fou. J'ai brandi la pièce sous son nez et j'ai lancé à la blague:

- Je t'avertis, mon Popov, je sens que je vais tout te voler...

En s'essuyant le menton du revers de la main, tout sourire et soupir, il a rétorqué:

- Je sais bien que j'ai un cleptomane comme client. Mais je crois que tu régresses; samedi dernier, je t'ai vu voler la belle brune assise au bout du bar, et aujourd'hui, tu m'arrives avec un toaster...

Il avait le regard complice. J'ai souri aussi. En flattant le chrome de mon nouveau Phillips, j'ai ajouté:

- Ouaip. Il est joli, hein? Mais c'est un peu con, j'en ai déjà deux à la maison...

- Allez, un toast aux toasters inutiles!

Le verre d'Alex a frappé mon verre à moutarde côté coeur. On a ri sans trop savoir de quoi on riait.

- Mais conseil d'ami, tu devrais voler un verre à scotch! Ton verre à moutarde me semble peu adapté à son usage et, disons, d'une autre classe sociale. Sans parler de l'air que ça te donne... Mon cavalier prend ta tour.

Merde, je ne l'avais pas vu venir. Alexandre avait cette faculté de voir tout ce qui se passait même distrait. L'étau se resserrait autour de mon roi. L'air faussement vexé, j'ai lancé:

- Quoi, l'air que mon verre me donne? Dis plutôt que c'est toi qui as peur qu'il fasse fuir ta clientèle. Ce verre n'est peut-être pas adapté à l'usage, comme tu dis, mais je l'aime. Puis c'est pas pire que ces saletés de petits chiens à poils longs que portait dans ses bras la vieille cliente à cheveux bleus d'hier soir!