Au début, on s'assoit sur le bureau et on parle de passions. Les yeux collégiaux s'ouvrent, plus intrigués par la fougue que par le contenu, usés qu'ils sont par l'usure. On ne se rend pas compte tout de suite qu'il mouillasse un brin, que déjà quelques gouttes minuscules tombent sur notre langue, une bruine de froide lucidité adolescente:
- C'est bien beau, mais à quoi ça sert?
- On peut faire de l'argent avec ça?
- Ça compte-tu?
Alors on renouvelle le contenant, on peaufine la métaphore, lisse la blague, mais on ne fait que modifier la mise en scène d'une pièce dont le propos n'intéresse personne. C'est ainsi que nos passions deviennent répétitions et que même sans rides, on devient aussi usés que les vieux de nos débuts, ces vieux auxquels on s'était pourtant juré de ne jamais ressembler.
On simplifie les concepts pour perdre le moins de gens possibles, on accepte que les étudiants comprennent à moitié, on se dit que 65% n'est pas si mal et on se surprend à bénir des temps anciens pourtant identiques, comme si on était meilleurs que ça.
Puis, alors qu'on ne l'attend plus, il y a cet étudiant qui sans mot dire, boit nos paroles, pose des questions pertinentes, finit ses travaux en moins de deux et, pour attendre le troupeau, en fait trois fois plus pour rien, pour le plaisir. Il n'est même pas boutonneux et a les cheveux propres en plus. Et, entre deux répétitions, alors que personne ne comprend rien à si peu, il nous souffle, un vague sourire aux lèvres et une petite étoile au fond de l'oeil, que visiblement, la matière dont on le nourrit manque de substance et qu'il aimerait bien en savoir plus.
La ligne se courbe, le flotteur rouge et blanc vient de disparaître sous la surface: ça mord!
Reste à ramener lentement vers soi, à tourner le moulinet sans rien brusquer afin de ne pas briser ce fil ténu entre la matière et lui.
Puis on se dit, malgré la pluie, qu'il y a des cours qu'il est bien de faire.
Ce doit être le genre de trucs qui te font aimer ta job d'enseignant.
RépondreEffacerAutrement, en lisant les premières lignes, ça fait un peu peur.
Dis lui de ne pas faire écrivain, il n'y aura plus de subvention bientôt!
RépondreEffacer:)
Martin P
Ton texte me touche beaucoup. Je pense même qu'il va m'inspirer un tit quelque chose...
RépondreEffacerC'est cette toute petite pépite dorée qui donne au prospecteur, la raison de continuer à fouiller l'immense étendu caillouteuse de la rivière.
RépondreEffacerJe suis aussi au bout d'la ligne.
RépondreEffacer***L'odeur de poisson en moins...***
Je trouve ca bon ton texte , c'est tres ingenieux lieutenant Dan !
RépondreEffacerJ'espère avoir été cette étudiante pour certain prof! En tout cas, quelques-uns m'ont sortie de ma torpeur estudiantine, le temps d'une session où j'attendais impatiemment le mercredi matin ou le vendredi après-midi.
RépondreEffacerC'est quoi ta moyenne? Une perle par classe? Par session? Par année?
Quand se croisent leurs atomes crochus, les cours ne durent qu'un instant. Ce sont des passionnés...
RépondreEffacerInsuffler le goût d'apprendre aux «apprenants incrédules», une tâche parfois ingrate.
Bonne session !
André C.
Et c'est pour cette raison que notre passion se poursuit, session après session... ;)
RépondreEffacer«Au début, on s'assoit sur le bureau et on parle de passions.»
RépondreEffacerAucune autre phrase ne saurait mieux décrire vos cours. Je suis tombée par hasard sur cette nouvelle dans le métro et je n'ai pu m'empêcher de sourire du début à la fin.
Merci de m'avoir fait connaître les merveilles de la linguistique!
Merci Geneviève. Merci surtout d'être une de ces étudiantes qu'on n'attend plus! (C'est que des Geneviève B. en linguistique, je n'en ai pas eu des tas! :))
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