Sylvain m’avait retrouvé grâce à ce blogue. « Tu es bien le Daniel qui jouait au poker avec Martin et Jef en 1986? » qu'il m’avait demandé dans un premier courriel. On ne choisit pas ses souvenirs, je me suis dit, et celui-ci en valait un autre. Moi, je gardais comme souvenir de lui qu’il arrivait toujours premier aux concours de mathématiques, et qu’il avait un petit chien fatigant qui confondait la jambe des visiteurs et ses amantes.
On est allés prendre un café dans un bistro du centre ville. Malgré la poussière, on s’est reconnus tout de suite. Pendant qu’on résumait les vingt dernières années de nos vies respectives, on se jaugeait mutuellement dans le miroir que nous étions l’un pour l’autre. Je dois avouer que j’ai perdu tous mes amis de l’époque, et que jusqu’à ma rencontre avec Sylvain, 1986, c’était hier. Autour de deux cafés dans ce bistro, il y avait deux hommes qui racontaient des vies bien différentes, les pores un peu dilatés, les tempes grisonnantes, des pattes d’oie lors des éclats de rire. La dernière fois qu’on était sortis ensemble, on avait eu peur de se faire demander nos cartes d’identité par le serveur; cette fois, on les aurait demandées à la serveuse tant elle avait l’air adolescente…
Tels des scientifiques sur une calotte polaire, on a foré une longue carotte dans la glace de nos vies. On a regardé les couches laissées ici et là, on a tenté d’éclaircir quelques zones floues, pourquoi était-ce plus dense ici, pourquoi cette couche de suie là, à quel moment exactement le dernier dinosaure s'était-il éteint, sans arriver à des conclusions bien pertinentes. Puis le café s’est refroidi, les additions sont atterries, les agendas nous ont ramenés dans le présent.
Ce jour-là, à la sortie d’un bistro du centre ville, ce sont deux hommes qui venaient de mesurer le temps qui se sont serré la main. Puis, avant de partir, mû par un étrange réflexe d’association, j’ai replacé la jambe de mon pantalon sur laquelle, pourtant, aucun petit chien ne s'était frotté.
Des carottes de vie. Comme elles semblent toujours plus vraies dans la calotte du voisin.
RépondreEffacerTu m'as fait vraiment sourire avec le petit chien, qui tu vois, ne faisais plus partie de ma carotte telle que je la voyais.
Ce fut un plaisir, et c'est toujours un plaisir de te lire.
Sylvain M.