jeudi 14 juillet 2005

Constats à l'amiable

Un jour, on se rend compte qu'ils auront beau inventer six cents saveurs de bars de chocolat, la meilleure restera l'originale; que notre première voiture aussi rouillée et peu fiable qu'elle pût être, restera celle dans laquelle on était le mieux; que les jeunes d'aujourd'hui se foutent de 1985 comme on se foutait de 1960; que parler comme un ado nous donne des airs d'attardés émotifs, qu'on fait des enfants pour nous remplacer, que courir jusqu'au dépanneur nous coupe le souffle bien avant d'y être rendu, qu'un étranger qui ne nous vouvoie pas est impoli, que l'arbre qu'on a planté prendra trente ans à nous faire de l'ombre, et que le jour où il nous en fera, on se souciera des dommages aux fondations de notre maison causés par les racines; que la fille moche du secondaire dont on a un jour repoussé les avances est devenue belle et riche et drôle, et fiancée et heureuse; que dans les pubs de voitures de luxe pour vieux mon'onc's, ils font jouer des chansons de notre adolescence; que le bonheur rend beau alors qu'on a longtemps cru que la beauté rendait heureux; que le café empêche vraiment de dormir; que le petit nouveau du bureau pourrait être notre fils; que les filles qui nous regardaient ne nous voient plus et que celles qui ne nous voyaient pas nous regardent; qu'il y a des boutons sur la télécommande de la télé qu'on n'utilisera jamais; qu'assumer ses travers les rend sympathiques; qu'on a les mêmes manies que nos parents, même si elles nous ont tant tapé sur les nerfs; qu'on ronfle; que ce qu'on n'a jamais osé faire n'était pas si difficile que ça finalement; que pour parler aux autres, il suffit de leur dire bonjour; qu'à notre âge, les sportifs professionnels sont à la retraite; que le film fétiche de nos vingt ans est franchement mauvais; que confier un anneau vital pour toute l'humanité à un nabot ingénu est ridicule; qu'on mourra sans avoir tout fait, tout vu, tout entendu; que l'an 2000 était hier et hier, il y a cent ans; que si la vie avait un sens, on souhaiterait qu'elle n'en ait pas.

Un jour on se rend compte de tout cela et on sourit. Ce jour là, on mérite une bonne bière fraîche.

Ou un café, selon l'heure du constat.

10 commentaires:

  1. Wow! Trente lignes sans un point!
    Nelly Arcan peut aller se rhabiller...
    ;o)

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  2. Ma grand-mère me disait récemment que vieillir est beaucoup moins difficile pour les hommes que pour les femmes. Ça m'a fait pensé à quelques textes lus par ici (d'ailleurs si tu pouvais faire des catégories, y'aurait là un thème ;o) ).

    J'aurais dû lui répondre: Euh... je sais pas, moi je connais des hommes qui ont des réactions assez vives quand même. Mais ils font ça avec poésie et philosophie. :oD.

    Je sais que la maîtrise du clavier te donne moins d'émotions fortes que celle de la scie, mais change pas tes priorités, ok? Parce que t'es vraiment trop doué!

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  3. J't'ai déjà dit que j'aimais ta plume ? :-P

    Daniel, mon ptit pitou en sucre (hahaha !), tu sauras toujours m'interpeler avec tes questionnements incessants qui sont tellement pareils aux miens. Viens, j'te paye pas une bière ou un café mais une tisane à la camomille ou un jus de pruneau...

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  4. ça, alors ça, c'était un bon texte! Je le signe comme si c'était une sorte de manifeste qui se porte à la défense de la morosité sympathique! Recevez mes salutations, etc.

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  5. Très bon, très juste, j'aime beaucoup ; heu sinon ça veut dire quoi "les vieux mon'onc's" ?
    (une recherche google sur le mot renvoit... ici.)

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  6. vieux mon'onc = les vieux oncles («mon oncle», en québécois), soit vieux schnocks.

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  7. Note linguistique: en québécois oral, oncle se dit «mononcle», donc, mon oncle se dira «mon mononcle». On entendra aussi «ton monocle» ou «ses mononcles». Il en va de même pour sa fiancée, «ma matante».

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  8. Ton monocle? Ah oui, très courant...

    Le plus jeune frère de ma mère, moi c'est mon monocle préféré, grace à lui je vois tellement plus clair dans la vie!

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  9. C'est drôle car autant que je ne suis pas assez vieux pour me sentir directement interpellé (j'en suis loin de la maison, du «on se foutait de 1960», etc.), autant que le style et l'idée peuvent s'appliquer à tout âge. Fin vingtaine et je me sens vieillir, qu'un décalage se creuse... Ton texte est intergénérationnel (beau petit mot technocratique récemment à la mode) et universel. Bravo !

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  10. Cela dit, Cela, dans Cristo versus Arizoa, pour ne citer qu'un seul texte (mais il y en aurait d'autres), écrit 300 pages sans aucun signe de ponctuation, crois-je me rappeler, et il serait possible de citer aussi plusieurs romans de Lobo Antunes, la plupart des recueils les plus expérimentaux de Butor, les premiers romans de Frémon, etc.

    Sinon, moi, né en 1974, je n'en avais pas rien à faire de 1960, ni de 1940... Ce que j'ai cru constater, c'est que la génération des adolescents et de la plupart des jeunes adultes d'aujourd'hui ne faisait pas de différence entre l'entre-deux-guerres et le 17ème siècle. Tout ça, c'est "l'ancien temps", et c'est grave!!!

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