Texte écrit pour Coïtus Impromptus
Il fut une époque où chaque soir, au coucher, je sautais dans le lit du plus loin possible, avec un élan de gymnaste depuis
Une fois dans le lit, je me couchais dans cet espace restreint en plein centre du matelas, espace que j’espérais hors de portée des tentacules du monstre qui lui, ne sortait jamais de sa tanière. Puis j’essayais de m’endormir, les couvertures jusqu’aux yeux comme unique rempart jusqu’au lendemain. Certains soirs, je pourrais le jurer, je l’entendais respirer. Je l’imaginais sourire, attendant patiemment l’apparition d’un de mes mollets, et il susurrait «Il n’y a rien sous le lit. Laisse pendre ton bras, tu verras…Juste deux secondes…» Cet être vil tentait d’attirer les âmes pures pour les consommer comme du maïs en épi. Il était gluant, cruel et sans pitié, comme le sont tous les monstres sous tous les lits de tous les enfants du monde. Cette menace constante finit par développer chez moi une vessie en acier et un sentiment de soulagement qu’il m’arrive encore de ressentir quand je vois l’aurore poindre. Car les monstres ne se dévoilent jamais au grand jour.
Mes tactiques poltrones furent sans doute efficaces puisque jamais une monstrueuse papille ne m’a goûté, ne serait-ce qu’un orteil.
Bien qu’avec le temps le souvenir de ce monstre se soit un peu émoussé, il m’arrive encore aujourd’hui d’y croire l'instant d’un soupir malgré mon bon sens d’adulte, malgré l’indécrottable incrédulité qu’apporte la maturité, malgré tout. Je me dis parfois que les monstres sous les lits ne disparaissent jamais vraiment, qu’ils nous suivent comme une tache de naissance, et nous écoutent, nous épient, nous voient devenir adultes. Et qu’un jour, à force de nous observer, redoutant à leur tour le monstre qu'est devenu celui qui ronfle sur l’oreiller au dessus d’eux, ce sont eux qui s’endorment inquiets dans ce petit espace au centre du lit.