Tous les jours où je vais à l’épicerie, Robert est là, quêtant trente sous, la main tendue, avec ce refrain à la tonalité calquée sur le chant de la tourterelle triste « Un peu de monnaie? - SVP - Bonne journée! » Et chaque fois, je me demande si le s'il vous plaît va avec la monnaie ou avec le bonne journée.
Quand on s’arrête pour lui parler un peu, Robert parle des sous noirs 1967, ceux avec un goéland dessus. Vieille fixation. Il doit en avoir pour 10$ dans sa poche de pantalon. Puis, il avoue candidement rêver de voler jusqu’en Malaisie, où il y a du soleil et des filles à marier. Il est vrai que côté Malaises, il doit s’y connaître. Il me jure que depuis trois ans, il se colle de l’argent pour partir, qu’un jour il ne quêtera plus, ni trente sous ni chaleur, et qu’il vendra des hot dogs à des touristes bedonnants. Mais à voir les trous dans ses bras, j’ai une petite idée de son agent de voyages.
Robert n’est plus à son poste depuis près d’un mois maintenant. Je me doute bien qu’il n’est pas à Brunéi. Mais depuis, je garde tous les sous de 1967, au cas où il reviendrait. Devant l’épicerie, une fille tient sa place au chaud, une jeune femme au regard bridé, avec des cheveux cotonnés et un tatou sur la joue. Un goéland.
*soupir*
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