Denis vit seul dans un appartement semi-meublé que son propriétaire avait osé décrire comme un trois et demi dans le Journal de Montréal. Il vit seul, alors il boit pour deux, parle pour deux, rit deux fois plus fort que les étranges qui viennent le voir à la fin du mois, quand les temps, comme le pain, deviennent durs, quand les chèques rebondissent. La police apparaît à coup sûr pour négocier une paix fragile, une paix gelée comme une balle avec de l’herbe qui sent le persil, une paix qui disparaît dès la première mauvaise joke. Denis connaît plein de mauvaises jokes.
Le reste du mois, personne ne vient le visiter. Pas de petite amie, pas même une naine, ni d’indécollables amis d’enfance, ni d’enfant illégitime surgi d’un soir particulièrement brumeux et aviné, personne. On le croise pourtant toujours joyeux, toujours avenant, toujours prêt à s’entretenir pendant des heures avec la première oreille généreuse ou le premier caractère trop poli pour couper court entre deux phrases. Denis le sait trop bien et il ne court pas de risque, il parle sans point jamais; quand il raconte une anecdote ou plusieurs, c’est d’une traite, sans pause, sans trêve, avec des liens où il n’y en a pas, avec des «j'va dire comme c'te gars...» et des «comme dirait l'autre...». Il parle tant qu ça lui prend des heures juste pour se rendre au dépanneur au coin de la rue. Il ne va jamais ailleurs.
Ses voisins le reconnaissent de loin, l’évitent, changent de trottoir ou feignent d’avoir oublier de fermer le rond chez eux. Alors Denis leur crie de loin, tente de tisser des liens, de faire des blagues, et il fait croire qu’il a aussi des ronds à fermer chez lui, lui qui n’en a aucun.
Pourtant, quand il revient chez lui et qu’il ferme la porte derrière lui, Denis pousse un soupir de soulagement et s’ouvre d’immenses bouteilles de bière à large goulot. Il raconte sa journée à la petite photo de sa mère sur la télé, lui décrit les travers de ses voisins, lui expose ses plans pour la soirée, ses vides à combler. Plus tard, plein comme une outre, il s’endormira en pleurant un peu.
JE TE HAIS... parce que tu trouves toujours les mots pour nous émouvoir avec tes histoires...
RépondreEffacerMerci d'être aussi "haissable"
Wow! Quel texte! Ça m'a ramené le souvenir d'un "Denis" qui faisait partie du voisinage de ma jeunesse et qu'il m'est parfois arrivé d'imaginer pleurer sa solitude quand tout le monde dort à poings fermés.
RépondreEffacerPfff... qu'est-ce que t'as contre les naines?
RépondreEffacerVrai qu'elle est un peu triste mon histoire, mais ça va mieux depuis que je suis avec la petite Galad...
RépondreEffacer;-)
comme souvent, très beau texte. Cela m'évoque une chanson de La Tordue: René Bouteille. (paroles ici:http://www.paroles.net/chansons/21106.htm)
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