Petit, sur la banquette arrière de la Plymouth Valiant bleu ciel de mon père, je passais tous les trajets à genoux à regarder le chemin parcouru se défiler. Je pouvais faire tout le chemin jusqu’à chez mes grands-parents sans jeter un seul coup d’œil devant, à me laisser surprendre par la force centrifuge des virages, les soudains freinages et les accélérations. Je tentais de deviner ce qu’il y avait d’écrit sur les panneaux de signalisation que je ne voyais que de dos, je comptais les poteaux, et quand on croisait une Volswagen, je donnais des coups à mon frère en criant «pinotte».
Ces petits passe-temps anodins cachaient cependant mon important boulot : ne pas se laisser dépasser par une autre voiture, une voiture qu’on avait laissée derrière en partant à l’aube, en douce, en faisant tout juste crisser le gravier. Quand arrivait une de ces vilaines roulant plus vite que nous, je m’appuyais sur mon dossier, je la visais soigneusement du doigt, un œil fermé, et quand elle était assez près, alors qu’elle s’apprêtait à nous doubler : bang! dans un pneu; bang! dans le pare-brise; bang! dans le radiateur.
Mon père me souriait dans le rétroviseur, cigarette au bec. C’était l’époque où la fumée secondaire ne tuait personne, l’époque où seuls les peureux s’attachaient à l’arrière des voitures, l’époque où les seuls démons du passé qui pouvaient me rattraper conduisaient une Trans-Am dont je m’appliquais à bousiller le radiateur à coups de revolver.
Aujourd’hui, j’ai le volant et je m’applique à éviter les nids-de-poule pour le confort de ma blonde, la sécurité de ma fille. Pour l’instant, dans le rétroviseur, ma fille ne fait que gazouiller, mais bientôt, elle parlera, elle marchera, elle aura ses propres démons surgis du passé à tirer.
D’ici là, je lui promets de conduire comme un pro et assez vite pour ne pas être rattrapés par quoi que ce soit. Mais un jour, quelque chose la rejoindra. Ce jour-là, je lui montrerai où viser, juste là, sous le sigle de la voiture, entre les deux phares. Ce sera à elle de fermer l’œil, de retenir sa respiration et d’appuyer sur la gâchette. Ce jour-là, je soufflerai dans le canon avec la satisfaction qu’apporte un mandat bien rempli.
Il est rare que j'arrive la première pour commenter.
RépondreEffacerAlors j'en profite pour te dire que la paternité te va vraiment bien. Tes mots sont des radiateurs de sentiments: ils réchauffent le coeur.
Bonjour Daniel,
RépondreEffacerMerci pour ces mots qui ont fait revivre en moi des souvenirs de mon enfance pas si lointaine...
Mon frère et moi, nous jouiions(est-ce que ça s'écrit comme ça?) au "barbu". Si on apercevait un moustachu, nous avions 10 points, un barbu en valait 20 et un chauve 50...
Enfin, merci pour avoir réveillé ma mémoire...
Il me semble, Dan, que tu te sois déjà fait faire le coup alors que tu roulais sur ta moto. Tiens, ça me reviens, c'était ici: http://demetan.blogspot.com/2005/04/duel-sur-lautoroute.html
RépondreEffacerLa roue tourne, mon ami, la roue tourne...
Je viens faire echo sur ce blog bien bien drole. C`est grace a Phebee, une ancienne voisine je crois, que j`ai decouvert ce petit coin de l`Internet.
RépondreEffacerAux plaisirs!
"Je me souviens", moi-aussi, parce qu'il y a des mots et des pensées qui n'ont ni frontière, ni océan pour limite. Je viens souvent lire vos pages, cher "cousin", et c'est toujours avec grand plaisir:) Bonne année 2007 à vous et à votre gentille gang, DSMoon***
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