J’avance dans le parc comme un pigeon, sans objectifs plus édifiants que le prochain grain, picorant ici et là au gré de la curiosité de ma fille. Son intérêt se porte tantôt sur un écureuil, tantôt sur une fleur. Ma fille n’en fait qu’à ses sens et elle ramène tout à sa bouche pour en identifier le goût : une samare, une pierre, un filtre de cigarette…
Après maints détours, on se retrouve assis dans le sable au milieu d’une dizaine de morveux de quatre ans. Une petite fille aux grands yeux s’approche de nous puis cesse de bouger, timide malgré les trente centimètres qui nous séparent.
- Bonjour, je lui dis. Comment tu t’appelles?
Son visage s’illumine, toute heureuse que je l’aie remarquée. Je n’ai pas toujours eu cet effet auprès de la gent féminine. Elle ne semble pas comprendre qu’un aveugle manchot l’aurait aussi repérée tant elle est collée sur nous…
- Je m’appelle Aisha.
- C’est joli, ça, Aisha. Elle, elle s’appelle Romane, lui dis-je en lui présentant ma fille.
Aisha retourne à son silence puis semble embêtée. Je souris dans ma barbe et me prépare à répondre à une de ces questions d’enfants naïvement complexes.
- Toi, tu es qui?
- Moi, je suis le papa de Romane.
Bon, ok; question complexité, on repassera. Mais il y en aura d’autres. Je me prépare quand même à répondre à des questions plus difficiles : pourquoi le ciel est bleu? Où va-t-on quand on est mort? Pourquoi le prix de l’essence est en dixième de cents? Ce genre de trucs… Romane s’occupe à mordiller une petite branche.
- Sa maman est où? demande-t-elle en pointant ma goûteuse.
- Elle travaille en ce moment.
Là, un énorme point d’interrogation se dessine sur le visage d’Aïsha. C’est le temps : je m'étire, je réchauffe mes neurones, j’anticipe : pourquoi toi tu ne travailles pas? Quand est-ce que je serai grande? Qui a tué les dinosaures? Je suis prêt.
- Il est quelle couleur, son travail?
Uppercut.
Ébranlé, je tente de répondre intelligemment.
- Euh… Hé! Hé! Euh… Gris!? (désolé chérie!)
Aïsha opine; elle semble bien comprendre ce qu’est un travail gris.
- Et toi, ton travail, il est quelle couleur?
Je regarde autour les arbres, les enfants qui courent, Romane occupée à découvrir le goût d’une poignée de sable…
- Vert. Menfin, je crois…
La réponse semble satisfaire Aïsha qui joue avec sa robe. Peut-être rêve-t-elle à son futur boulot, à quelque chose de bleu, de rouge ou de rayé… Mais déjà Romane se lève pour marcher vers d’autres saveurs et me tire avec elle, me laissant tout juste le temps de dire au revoir.
Je crois qu’Aïsha fera une excellente conseillère en orientation, et que si elle pose encore cette question dans vingt ans aux étudiants qui la consulteront, il y aura alors pas mal moins de comptables sur les bancs des universités…
Vert ? Moi, je trouve que mon travail est plutôt ocre. Mais on ne doit pas avoir le même syndicat !
RépondreEffacerWow! J'ai adoré cette petite histoire... Vraiment... Il y a quelque chose, dedans, que j'ai adoré et que je n'arrive pas à nommer... M'enfin! Ce n'est pas grave!...
RépondreEffacerMon travail à moi, je dirais qu'il est arc-en-ciel. Parce que j'en vois de toutes les couleurs et parce qu'en même temps, il est beau et coloré comme un arc-en-ciel... :-)
Très beau petit texte. J'imagine que tu n'as eu qu'à le coucher sur papier puisqu'il semble venir de la vraie vie. Il y a les couleurs du travail... il y a aussi les couleurs de l'amour.... On rêve tous d'un beau bleu ciel éclatant ou d'un magnifique rouge passion... malheureusement le drable nous guette!
RépondreEffacerSuperbe!
RépondreEffacerLes enfants sont magiques!
heureux mortels chez qui on ne parle pas de travail "au noir"... Très joli texte.
RépondreEffacerParfois, je me demande si vous n'auriez pas par hasard un lien de parenté avec Boris Vian!:) Cordialement,Vaguedemain***
RépondreEffacerVive l'innocence des enfants!
RépondreEffacerNotre travail a la couleur qu’on y dépose avec notre propre pinceau. Un comptable a souvent un travail rose, rose comme la petite culotte de sa collègue qui a décidément une jupe très courte.
RépondreEffacerMerci :)
RépondreEffacerMagique: une belle histoire multicolore! J'ai bien hate d'avoir des tonnes d'enfants pour entendre des choses pareilles. Merci!
RépondreEffacerUne jolie histoire toute en couleurs, oui,
RépondreEffacerPourquoi pourquoi pourquoi
le ciel est-il bleu,
la pelouse verte
le sable blanc
et mon travail de couleurs changeantes comme un lever de soleil?
Ha ha! Merci pour ce joli texte!
RépondreEffacerMoi mon travail est blanc au matin et multicolore en fin de journée!
Moi mon travail il est parfois rose pétant, mais la majorité du temps, ben je dirais qu'il est brun. Attention, un beau brun, là! Un brun terre, un brun pantalon corduroi,genre.
RépondreEffacerbon et à moi Daniel, tu veux bien me dire les réponses? j'aimerais que tu commences par les Dinosaures. c'est beau un Dinosaure. tu te rappelles de Denver?
RépondreEffacerEn y repensant, peut-être voulait-elle savoir si comme un membre de sa famille tu travaillais au Noir...
RépondreEffacerJoli. Rafraîchissant.
RépondreEffacerMon travail à moi, il est aussi brun que mes bas, mais au moins il apporte des billets verts afin que je puisse garder mon gazon bien vert et ma piscine de banlieue bien bleue.
Bon week-end de la fête rouge,
-chill
Superbe Daniel,
RépondreEffacerArriver à saisir le moment ... à saisir la question d'un enfant avec cette sensibilité là .
Si on apprenais à écouter les enfants.
Son papa doit être col bleu.
RépondreEffacerMerci Aisha. Et merci à toi de nous l'avoir présentée. Pendant un moment, j'étais ailleurs. Je reste avec la tête pleine de couleurs et de questions.
RépondreEffacerJ'ai soupiré de bonheur et de ravissement à la lecture de cette petite histoire.
RépondreEffacerEt je me dit que c'est une si belle question à poser aux gens que l'on rencontre, tellement plus rafraîchissante que la pénible question " Que fais-tu dans la vie ? " Question stupide dis-je,parce qu'on s'attend à une réponse définissant notre travail alors que moi ma vie, c'est tellement plus que ça. Alors je demande souvent, parce que ça ça m'intéresse pour vrai : " Et toi, qu'aimes tu faire dans la vie? " Je pense que je me permettrai parfois, en songeant à vous, d'ajouter; " Et ton travail, il est de quelle couleur? "
tiens! vu que bibco fait le premier pas, je vais la suivre. imaginez un peu: peut-être allons nous partir une nouvelle manière de s'exprimer, de faire connaissance? et peut-être allons-nous un jour nous rencontrer, au hasard d'une allée de supermarché, au milieu d'une piste de danse, entre deux arbres du Parc Lafontaine. nous nous poserons alors cette question et sourirons.
RépondreEffacerTrès beau texte...touchant et naïf, comme il fait bon en lire, même lorsqu'on est cynique et désabusé comme moi!
RépondreEffacerContinuez votre bon travail (quel commentaire médiocre!!!)
Érich