J’étais couché dans mon lit, un double, une immensité blanche dans laquelle tous les soirs je sautais avec un grand bond afin d’éviter que le monstre sous le lit ne m’attrapent par les pieds. Je savais sauter très loin car j’étais toujours vivant après neuf ans. C’est ben pour dire.
Mon réveil-matin indiquait 22h. Même de sous mes couvertures, même la tête habillée de mon oreiller, même avec une chanson de Charlebois que je chantais fort, j’entendais les efforts que déployait Gertrude, ma gardienne, afin de contenir les assauts de son copain Gilles. Curieuse alternance de négations, de halètements et de grincements de matelas. Le lit de mes parents était une grande commère.
Mes parents étaient partis. Sortie de grands. Ils étaient capables de rentrer à des heures impossibles, voire minuit. Moi, sous ma couverture en guise de tente, dans mon lit en guise de monde, je souhaitais intérieurement qu’ils ne rentrent jamais, qu’un agent de police vienne frapper à la porte, le regard plaqué au sol, la casquette dans les mains. Je me serais alors réveillé avec le statut de héros et je serais allé vivre, valise à la main, chez mononc’ Pierre ou chez ma tante Rollande. Et tout le monde aurait chuchoté pendant des années la grandeur de mon courage en balançant doucement de gauche à droite un sourire triste et bienveillant.
Je souhaitais vraiment, ardemment qu’ils ne rentrent pas. Il était 22h10 et chaque minute qui passait me rapprochait de ma condition d’orphelin courageux.22h11. Gilles a râlé puis a pété en riant. 22h12...
Le bruit de la porte m’a réveillé. Mon cadran indiquait 22h43. J’ai entendu la voix joyeuse de ma mère qui insistait sur le fait que le deuxième film était pas mal meilleur que le premier. Moi, je n’étais pas orphelin. Je me suis enfoncé un peu plus loin sous les couvertures, un peu coupable d’avoir souhaité leur disparition. Un peu triste, aussi. Douce déception.
Un jour, mes parents sont partis, et minuit est passé sans qu’ils ne reviennent. Des agents sont venus me chercher. Enfin héros. Je suis allé vivre avec Gertrude. Mais mes parents sont revenus me voir. Je décris pas le désappointement.
Des années plus tard, j’ai toujours cette vague déception quand les gens reviennent me voir. À moins que je ne sois déçu et vaguement gêné d’être toujours au même endroit, dans une autre immensité blanche, à me couvrir la tête de mon oreiller et à chanter «You’re a frog, I’m a frog» pour ne pas entendre Gertrude se taper le concierge entre deux pilules. Je me suis laissé attraper par le monstre. J’ai pas dû sauter d’assez loin. Mais je suis toujours vivant après 14 ans. C’est ben pour dire.
Il est 22h43. J’entends le concierge jouir, puis je pète souriant.
Nice.
RépondreEffacerMoi qui croyais avoir été la seule à prendre l'élan pour sauter au lit et ainsi échapper aux monstres dessous!! (Et ma chambre double de l'époque me permettait tout un élan!) J'évitais aussi de laisser mes bras dépasser du lit une fois dedans. Aujourd'hui, le monstre n'est plus sous le lit, il est sous la couette avec moi et il me tient au chaud. ;-)
RépondreEffacerPascale, on a aucune idée de qui tu parles ! :-s
RépondreEffacerAu risque d'avoir l'air fif, mon monstre à moi était dans le garde-robe. Il n'en est jamais sorti...
RépondreEffacerLes gardiennes... je rêvais tellement d'en avoir une! Malheureusement, dès l'âge de 10 ans, c'est moi qui gardais les gamins des autres.
RépondreEffacerQuant aux monstres, les plus menaçants ont toujours été entre mes deux oreilles...
Comment se fait-il que tout le monde focusse sur le monstre? Suis-je normal maître?
RépondreEffacerExcellent Text.