lundi 30 avril 2007

50 cm

À la fin mars, j’ai quitté le collège pour 5 semaines de congé de paternité. 35 jours confiné dans un 6 et demi avec une enfant de 11 mois à attendre, au pas de la porte, qu’il fasse beau, qu’il fasse chaud afin de descendre l’escalier sans je-lui-nous casser la gueule. 35 jours de brassées, de vaisselle, de balai, de rendez-vous ici, puis là, de repas, de courses, de gestion d’inventaire alimentaire. Je suis un gérant d’inventaire lamentable.

35 jours à faire le singe, à stimuler des sens en éveil, à lui faire sentir des épices, à lui faire une jasette à sens unique, à me faire éclabousser d’eau et de rire à l’heure du bain, à la faire danser, pas de 2, sur du Vigneault, du Dassin ou du Bélanger. 35 jours, 12 heures par jour à faire marcher ma fille alors qu’elle me tient par deux doigts, à avoir mal au dos à force de marcher plier, à l’amener au parc Lafontaine et à la regarder crier sa joie chaque fois qu’elle voit un chien. Elle a vu beaucoup de chiens.

370 heures à surveiller l’odeur des couches, les rougeurs sur la peau et les syllabes nouvelles. 370 heures à voir dans le moindre signe de fatigue une promesse de délivrance d’une petite sieste avant de recommencer le manège. Durant ces heures de pause, je me promettais des romans à lire et à écrire, du rattrapage de tâches ménagères, des appels avec les amis. Presque chaque fois, je m’endormais sur le sofa.

5 semaines passées en coup de vent, chargé d’une vie qui commence, qui découvre, qui explore. Puis hier soir, dans un dernier jeu avant de retourner bosser, j’ai ouvert les bras, et ma fille a fait 5 petits pas.

.....

Jamais 5 semaines ne se sont terminées par d'aussi beaux 50 centimètres.

mercredi 25 avril 2007

Attention, je vous écoute...

«J'aime les enfants. Ils viennent à moi... J'aime les manipuler.»
Patrick Brisebois

mardi 24 avril 2007

Pourquoi ne m'invite-t-on jamais à analyser l'actualité à la télé?

Vous vous souvenez de Jan Wong, chroniqueuse au Globe and Mail qui avait expliqué par un sentiment d'aliénation au Québec les gestes du tireur fou de Dawson et ceux des tueurs de l'école polytechnique et de Concordia?
Je m'étais moqué de ses propos à l'époque...

Les récents évènements semblent cependant lui donner raison: il s'avère que le tueur de Virginia Tech était lui aussi mal intégré au Québec...
(Selon mes sources, il y aurait même jamais mis les pieds. C'est pour dire...)

samedi 21 avril 2007

Enfin

Ce matin, Louis se réveilla vers 13h30. Rien d’extraordinaire quand on se couche à 9h, après les émissions pour enfants. Comme l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, Louis leur avait dit bonjour avant de rentrer chez lui pour dormir. La tête bien calée dans son oreiller trop mou, il jeta un oeil poché aux chiffres lumineux de son réveille-matin. Il renifla bruyamment, se frotta le visage avec les paumes et eut une brève pensée pour ses étudiants puisqu'il avait cours à 13h. Louis ne s'en fit guère; on en était déjà à la quatrième semaine de la session, les étudiants avaient donc l’habitude... Il fallait tout de même qu'il se rappelle de ne plus donner de cours les lundis.

Malgré les bières et les scotches de la nuit précédente, Louis n’avait pas mal à la tête. Il refusait tout de même de se lever. Une légère sueur d’alcool étreignait son corps. Ses doigts collaient les uns aux autres et son t-shirt adhérait à son ventre. Quand il y pensait, il se dégoûtait, mais il y pensait très peu car ce matin, il était bien.

Louis resta couché à regarder le plafond, contemplant cette évidence qui le frappait: il était enfin alcoolique.

vendredi 20 avril 2007

Gravité

Ce n'était rien, rien que mes mains qui enflaient au point de la démesure sans grande gravité. Mais le reste du corps se mit en tête de les imiter. D'abord lentement, puis de plus en plus rapidement. Je grossissais à une vitesse folle, je devenais un géant, soufflé par je ne sais quel hélium. J'ai rapidement mesuré 2, puis 8, puis 15 étages. Le roi Kong pouvait retourner dans sa jungle. Je prenais les gens entre mon pouce et mon index et avec un peu de malice, j’aurais pu les écraser. Je les observais plutôt, intrigué et un peu inquiet, car je ne cessais d'enfler, de me développer, de forcir. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je pouvais prendre des buildings entiers entre mes mains. Puis je suis devenu gauche, tout devenait trop petit, mes doigts trop gros. Tout m’échappait, je ne savais plus rien retenir sans le casser. Les seules pulsations de mon cœur écrasaient ce que je tenais pourtant délicatement entre les paumes de mes doigts, tout faisait crounch telles de minuscules coquilles de colimaçons. Et je passais mon temps à m’excuser. Désolé... Pardon... La Terre, trop petite pour soutenir tout mon poids, lâcha prise, s'éloigna. Je continuais à gonfler rapidement. À ce rythme, j'aurais bientôt une atmosphère, des satellites, une lune à moi. Je quittais un monde où plus rien n'avait d'importance et j'allais bientôt avoir ma propre gravité. Une gravité immense, qui rend lourd tout ce qui me côtoie.
Rien à faire, le monde m'aura toujours peser lourd.

mardi 17 avril 2007

Bang!

Bang! Bang!
Un être humain tire et tue deux personnes dans une résidence étudiante de l'université Virginia Tech.
Bang! Bang!
Les autorités et l’université en question ne réagissent qu’après deux heures aux deux premiers meurtres, parlant «d’incidents [sic!] isolés».
Bang! Bang!
Le tueur barricade des portes d'un autre pavillon de l'université et tire à bout portant sur les gens pris en souricière.
Bang! Bang!
Plusieurs étudiants prennent des photos de la mort en directe avec leur téléphone portable. D’autres filment la masse paniquée et des corps ensanglantés suffisamment longtemps pour remplir la carte mémoire de leur appareil.
Bang! Bang!
Les photos des premiers et les vidéos des deuxièmes sont disponibles sur le web en moins de deux. Ça leur permet d’emplir à nouveau les cartes mémoires d’hémoglobine, de panique désarmée, de canons pointés. Peut-être même qu’un des photographes-caméramans d’occasion pense à tout l’argent qu’il fera en vendant les images à CNN.
Bang! Bang!
Les journalistes arrivent sur les lieux du carnage en même temps que les autorités afin d’imbiber de rouge les téléjournaux et les unes du lendemain, unes qu'on tue rapidement.
Bang! Bang!
Les archivistes de partout établissent un palmarès des tueries en milieu scolaire en les classant par nombre de décès.
Bang! Bang!
Alors que certains pleurent, tremblent, cherchent du réconfort, se tordent de douleur, feignent la mort ou meurent tout simplement, un étudiant sur le campus raconte live sur un blogue ce qui s'y passe. On ne sait comment ils ont pu en être avisés aussi vite, mais des centaines, voire des milliers d’internautes le lisent en temps réel et attendent la suite du feuilleton avec le même appétit que pour l’émission Survivor. Live and let die.
Bang! Bang!
Les téléjournaux de la planète fracassent des records d’audimat avec leur nouvelle américaine. Je suis du lot et j’avoue que ma soif m’a légèrement écoeuré.
Bang! Bang!
On décrète que le tireur fou est le fruit d’une société malade, une société malheureusement sans frontières, atteinte d’un cancer profond.

Avec autant de symptômes, force est d'admettre que le cancer est généralisé.

Bang!

dimanche 15 avril 2007

Extrémité

Je ne sais par quel bout reprendre l'écriture, comme si j'avais à saisir un ballon de plage d'un seul doigt. Étrange impression d'être devant une tortue repliée dans sa carapace.
Il me reste qu'à attendre dans le calme qu'elle ait faim, qu'elle se pointe le bout du nez.

Quelqu'un sait imiter le cri de la laitue?

vendredi 6 avril 2007

Aphorisme

Un esprit fêlé, c'est un esprit fermé mais fragile;
c'est un espoir d'ouverture d'esprit...

mardi 3 avril 2007

Salut salaud

Ça faisait quatre ou cinq fois que tu passais pour jauger les lieux quand tu as arrêté ta voiture sur le point le plus haut du pont Champlain. On a tous déjà rêvé de faire ça un jour, pour la vue, pour le panorama. Mais tu te foutais bien du skyline de Montréal.

Tu avais en masse eu le temps de penser à tes enfants, à ta femme, à ta mère, à tes sœurs et frères, à tes amis, à tout le monde. Peut-être pas, salopard. J’ignore comment le cerveau fonctionne à ces moments-là.

Tu as mis la transmission sur park. Les voitures derrière toi ont dû klaxonner. Tu es sorti de la voiture comme un lâche, un criss de lâche. Tu ne pensais à rien, à rien, surtout à rien. Tu te le répétais sans doute. À rienrienrienrien. Il te fallait bloquer tout souvenir, toute réflexion pour y parvenir. Tu y es parvenu. Connard.

Tu as enjambé le parapet. Pile poil au-dessus de la voie maritime. Tu avais vu juste. Sous ton regard, 130 pieds de vide. 40 mètres. Assez pour que l’eau devienne du ciment. 130 pieds d’un vide que tu connaissais trop bien. 130 pieds qui auraient dû te faire changer d’idée. Quelqu’un a dû crier de sa voiture, peut-être même qu’il courait derrière toi. Tu as sauté. Tu es vraiment un salaud. Un hostie de salaud.

Tu as sûrement revu quelques secondes de vie, quelques visages aussi. 130 pieds, ça laisse du temps pour voir des choses. À quoi as-tu pensé quand tu as revu le visage de ta fille, de ton fils? Y a-t-il eu un moment où tu as regretté d’avoir sauté?

Pourquoi tu n’as pas appelé, foutu idiot?

La police a dit que 5 minutes plus tard, tu tombais sur un navire de marchandises. Mais tu étais 5 minutes plus tôt, et ton corps est disparu dans l’eau. Les autorités ont mis près d’une heure à te repêcher. De quoi glacer le peu de sang qui circulait encore dans tes veines d’abruti. Puis ils t’ont amené à l’hôpital le plus près. Tu respirais encore, bougre d’imbécile.

La police, muette, est allée chercher ta femme à son bureau. Les cons, incapables d’allumer les gyrophares pour elle, ils l’ont foutue dans un taxi. Elle nous a appelés en pleurs d'une banquette recouverte de cuirette. Elle nous a dit ce qu’elle savait. Comme elle ne savait à peu près rien, on a imaginé le pire. Je t’ai maudit pendant que ma copine pleurait tout son mascara sur mon épaule tout le long du trajet sur le pont Jacques-Cartier, là où ils ont posé des barrière anti-suicide-de-connards-comme-toi. Tu n’as pas idée combien j’étais fâché contre toi. Menfin, j’imagine que tu commences à avoir une petite idée.

Rendus à l’hôpital, on a appris que tu étais un miraculé, que tu n’avais que des contusions. Le genre de truc d’une chance sur un million, peut-être moins. Une chance de salaud. Le vide t’avais recraché vers nous. Personne ne pouvait expliquer le comment du pourquoi, mais tu étais là, faible, les yeux clos, mais capable d’aligner des mots. Dans le corridor, ça pleurait, ça jouait avec la monnaie au fond de ses poches, ça inventait plein de paroles débiles de réconfort. Ça inventait surtout les mensonges qu’il faudrait dorénavant dire à tes enfants pour le reste de leur vie.

Je suis entré te voir. Tu étais tout petit, tu n’étais presque rien, tu avais survécu à un enfer que tu avais tristement provoqué.

J’ai posé ma main glacée sur ta main de connard, étonnamment chaude. Je t'ai dit que forcément, tu étais fait plus fort que tu ne le croyais. Puis je t’ai dit que je t’aimais.





Ce texte n'est malheureusement pas une fiction. Dure journée aujourd'hui. Désolé pour les éventuelles coquilles.
Merci aux Vilains Pingouins pour le titre.

lundi 2 avril 2007

Rendez-vous

Je lui ai donné rendez-vous au bar à 20h18. À et 18, comme ça, pour rien. Parce que ce n’est pas un chiffre rond. Ce n’est pas carré non plus, mais bon.

Je lui ai dit que j’aurais un col roulé noir, des lunettes à montures métalliques, un livre. J’ai hésité entre Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer pour les promesses, Cyrano de Bergerac pour le romantisme, et Kennedy et moi pour mon âge et ma calvitie.

Il est 20h29. J’attends encore qu’elle entre. J’ai choisi Journal d'un vieux dégueulasse, pour voir si elle a de l'humour...

Il est 20h37. La porte ne s’ouvre toujours pas. J'aurais dû choisir En attendant Godot.

20h43. La porte s'ouvre enfin. Un vieux barbus entre. Je retourne à mon livre. C'est rendu que Bukowski m'emmerde.

20h49. Porte toujours close. J'ai des envies d'Âmes grises de Claudel.

20h56. Si ça se trouve, elle ne sait pas lire, la conne.

21h17. Bukowski est un pathétique fini. Je l'aime bien. Encore un café - non, une bière plutôt - et une dizaine de pages. Après je m'en vais. Je n'ai pas juste cela à faire, attendre des femelles...

21h21. C'est encore l'heure du deux pour un. Ce serait con de laisser passer...

22h33. J'ai passé au travers du livre. J'ai bien ri. Elle ne sait pas ce qu'elle a manqué, l'idiote analphabète. Bon, une dernière bière. Juste une.

23h57. Toutes des salopes, j'te jure...

0h26. Je crois vraiment qu'elle ne viendra pas. C'est vraiment le désert, ce bar de ploucs. Même pas un vieux boudin sur lequel me replier. Allez, un petit verre et je file.

1h54. Il me reste tout juste assez de monnaie pour un dernier verre. Juste un dernier...