Si la participation n'avait pas été limitée à un seul texte (sic!) par personne, je crois que j'aurais passé ma journée à en écrire.
Voici ma particpation:
En attendant le dévoilement du gagnant, allez lire les 5 finalistes.
Aux premières lueurs de l'aube, j'ai descendu l'escalier extérieur pour ramasser le journal du jour. En quatre ans, le camelot n'avait lancé son quotidien sur le balcon que deux fois. Je me suis juré, une fois de plus, de lui servir une leçon de baseball, mais comme je ne lui avais jamais laissé un sou de pourboire, je m'estimais encore chanceux de recevoir un journal sec, en un morceau.
Plus par habitude que par curiosité, j'ai levé les yeux vers l'énorme panneau publicitaire planté sur le toit du commerce d'en face. Voitures, unes d'hebdomadaires, albums de Noël, crèmes exfoliantes ou pilules supposées gonfler l'homme endormi en moi s'y succèdent au rythme des modes. Chaque mois, un différent slogan prémâché commence mes journées: Just do it, Bonne semaine, Parce que je le vaux bien, Le Dur de dur, tous interchangeables. Chaque matin, je lis les mots, regarde les images sans y penser, je baille et je remonte allumer la machine à café. Chaque matin, sauf ce matin.
Une fille m'y attendait. Une fille nue, de dos, qui se cache les seins avec les mains sans trop qu'on sache pourquoi puisqu'elle faisait dos à la caméra. Elle regardait de côté, présentant son profil gauche. J'ai scruté son nez, son œil, son menton, le galbe de ses seins, la courbure de ses hanches, le sourire de ses fesses. Autant de régions connues, de pays visités, de souvenirs brûlants. Le mannequin était Ophélie.
Ophélie, qui avait fait le conservatoire, qui s'était toujours plainte de ne pas avoir de rôle, s'était donc résignée, comme tant d'autres de son métier, à la publicité. Toutes ces années de pratiques, d'études, d'auditions, de textes par cœur, de personnages à habiter, d'auteurs à saisir, de cours de danse, de chant, de maintient, de pose de voix pour finalement offrir son corps au hachoir de Photoshop et ainsi ajouter sa viande à la boucherie de la surconsommation qu'elle dénonçait depuis toujours. Tout près de son sourire, le panneau clamait «La solution beauté». J'ai eu un petit rire niais, sans conviction.
Ophélie était là, devant mes yeux humides, déshabillée, de dos, pour vanter les vertus d'un quelconque shampooing qu'elle n'avait sans doute jamais utilisé, du moins du temps de nos fréquentations.
Elle avait 27 ans, j'en avais 350.
Je devais appeler au boulot pour signaler que je prévoyais être malade.
Ce matin, dès l'aube, il frappait la tige de fer avec une pierre. Trois coups, arrêt, silence. Il écoutait, sa seule main encore valide sur la tige. Puis il recommençait. Trois coups. Il frappait la tige comme il l'a fait hier matin, et le jour d'avant, et le jour avant celui d'avant. Hier, et les jours précédents, après ses trois coups, il creusait les décombres avec des bouts de planches, il lançait plus loin, toujours d'une seule main, des morceaux de ce qui était sa maison.
Mais ce matin, il n'a pas creusé. Il a continué de frapper ses trois coups, d'écouter. Parce que ce matin, sa femme, à moins que ce fut sa fille? ne lui faisait plus écho de sous le tas de ciment qu'est maintenant sa maison. Les décombres ne l'appelaient plus à l'aide, ne lui disaient plus «je t'aime» à petits coups assourdis.
Après quelques heures, peut-être plus, l'homme a lâché sa pierre qui a roulé quelques mètres plus bas. En regardant sa main écrasée, ses doigts inutilisables, il s'est dit qu'il devait maintenant s'en occuper. Sans compter qu'il commençait à faire drôlement faim.
Sur le chemin du village, il a bien croisé quelques personnes, des gens qu'il ne reconnaissait pas, dont quelques Blancs. Il ne se rappelait pas de la dernière fois où il avait vu un Blanc dans son village. Et c'est seulement quand l'un d'entre eux, habillé d'une blouse blanche, lui a dit qu'il devra lui amputer la main que l'homme s'est mis à pleurer.
Le voleur était couché sur mon divan. Les yeux mi-clos, un bras sur le front, l’autre tombant vers le plancher. Il m’a à peine regardé avant de refermer les yeux et d’articuler lentement, le plus sérieusement du monde :
- T’es vraiment superbe, Naked Lunch.
C’était Frédérique. Elle était à moitié saoule et aux trois quarts ivre. La pièce embaumait tellement le Jack Daniel’s qu’il aurait été dangereux de craquer une allumette.
- C’est super gentil la raquette, mais j... j’suis pas intéressée à jouer au badminton… Pas... Pas ce soir en tout cas… Et arrête de sacrer… Ça te va pas...
- Fred?! T’es hyper conne d’entrer sans me prévenir!!! Tu réalises que j’aurais pu te tuer!! ai-je lancé en me redressant.
Frédérique a soulevé son avant-bras, m’a regardé les yeux mi-clos, a soupiré puis s’est recalée au creux du divan :
- Avec quoi? Ta raquette?
Pour rire, elle a eu un gloussement unique qu’elle a étouffé dans un profond bâillement éthylique.
- Come on… J’… J’étais juste trop saoule pour aller me coucher chez-moi, a-t-elle lentement articulé. P’is… P’is t’as juste à barrer ta porte… Y’a des malades dehors… Un jour, c'est un voleur qui entrera… Un voleur... Ou pire.
Fred s’est endormie sur ce message de sécurité publique. Pendant que je lui cherchais des couvertures propres, je me suis dit qu’il vaudrait quand même mieux que je prenne l'habitude de verrouiller la porte la nuit. Je suis allé à la porte d’entrée. La lumière de la pleine lune entrait par la fenêtre sans rideau. Dehors, pas un chat. J’ai soupiré. Montréal n’est jamais plus belle que la nuit. J’ai essayé de tourner le loquet de la serrure, mais la rouille, la peinture et des années d'inutilisation m'en ont empêché. J'ai soupiré et je suis retourné au lit.
J’ai regardé le vide une bonne heure, le temps que mon adrénaline se dilue et que revienne le sommeil. Les yeux au plafond, j’ai pris la décision d’abandonner le badminton et de m’inscrire dès que possible à des cours de golf.
Je me suis avancé vers la noirceur du salon et ce n’est que plusieurs pas plus loin que je me suis rendu compte que je tenais à deux mains une raquette de badminton. Pourquoi ne jouais-je pas à la balle molle ou au golf comme tout le monde? Dans les cas d’intrusion par effraction, le pouvoir de dissuasion d’un fer 3 n’a jamais été remis en doute. Comme je ne pouvais demander au brigand d’attendre le temps que je me trouve une arme digne de cette appellation, j’ai poursuivi mon approche du salon en prenant soin d’ajouter cent kilos à chacun de mes pas. Puis, d’une voix qui a mis une syllabe à s’aggraver, j’ai lancé:
- À ta place, le cave, je partirais tout de suite. Je suis armé...
La menace de l’arme auto-défensive. Voilà. Je n’étais pas mieux qu'Ahmadinejad du haut de son fauteuil présidentiel. À mon invective j’ai eu pour seule réponse un grognement abruti. Iranien ou pas, j’étais nu, armé d’une matraque à moineaux en carbone ultraléger, et je devais affronter un adversaire invisible, inconnu, qui s’exprimait comme un homo erectus. Pourquoi à moi? ai-je murmuré en regardant le plafond. Je me devais d’attaquer rapidement, profiter de l’effet de surprise pendant que l’intrus croyait encore que je pesais deux cent kilos. J’ai pris mon courage à bras-le-corps, j’ai fait deux ou trois pas éléphantesques de plus et, dans une motion à mi-chemin entre celle du Batman des années soixante et celle de Jackie Chan des années 90, j’ai allumé la lumière et j’ai bondi dans le salon en feignant un kata improbable et en poussant ce qui se voulait un cri de guerre barbare. En moins d'un dixième de seconde, j’ai scanné le ring que s’apprêtait à devenir mon salon. Aussi intimidant que l’inspecteur Cluso. Parfaitement ridicule.
- Mon tab…
Ma phrase s’est étouffée là. Il était inutile de blasphémer plus loin.
Des pas qui se voulaient discrets se sont dirigés vers le salon, puis plus rien. J’ai fait un rapide bilan qui n’avait rien de rassurant : il y avait un intrus, un voleur, voire un terroriste dans mon appartement, j’habitais seul depuis plus d’un an et j’avais autant de talent pour les arts martiaux qu’un Teletubbies. Rien de tout cela n'offrait de résistance substantielle à l'inquiétude qui me gagnait.
Pour entrer si tard et si bruyamment chez les gens alors qu’ils dorment, le terroriste devait être hardi. Ou drogué. Ou les deux, en plus d'être affligé d'une légère débilité mentale qui lui voilait tout espoir d'empathie, et il devait sûrement posséder la musculature d'un King Kong. Comme il était sans doute venu pour se faire un petit système audio facile, je ne tarderais pas à entendre mon équipement électronique tomber dans une grande poche de hockey... Mais malgré une écoute digne des meilleures antennes de la NASA, je n'entendais plus de bruit. Rien. Niet. Aucun son, que du silence. J’ai attendu encore un peu avant de respirer. Le voleur semblait s’être évanoui. J’ai hésité sur la marche à suivre : devais-je faire le sourd? Le mort? L'endormi ou le redresseur de tort?
Bien qu’elle était de loin la moins agréable, la dernière option m’a semblé la seule valide. J’ai décidé d’aller voir, en essayant de ne pas penser aux conséquences possibles de mon geste. J’étais aussi nu que j’en étais capable, et je suis capable de beaucoup quand on parle de nudité. Mon coeur battait dans mes lobes d’oreilles. Avant de sortir de ma chambre, j’ai pris le premier objet, la première arme qui m’est tombée sous la main.
Je me suis réveillé en sursaut, assis dans mon lit. Mon réveille-matin indiquait 3h33. J'étais trop endormi pour faire un vœu. J’ai mis quelques secondes à distinguer le réalité du rêve et je me suis demandé si le bruit qui m’avait sorti des bras de Morphée était réel. J’ai prêté l’oreille au silence. Prêt avec intérêt. Rien. Même ma clarinettiste de voisine dormait, c’est dire si c’était silencieux.
J’étais pourtant familier aux sons de cet appartement que je ne pouvais me résigner à laisser. Plusieurs m’ont pourtant conseillé de déménager. Trop grand, trop cher, trop chargé de souvenirs. J’aurai pu le quitter pour un autre moins lourd, mais on ne choisit pas les appartements d’après rupture, comme on ne choisit pas nos amis quand on tombe; on s’accroche à celui qui est là, et après, on doit trop. Alors je restais ici, le temps de ne plus rien devoir à personne, que retombe la poussière.
J’ai passé une main lasse sur mon visage et j’ai soupiré en relâchant mon attention. Comme je m’apprêtais à me recoucher et à m’assoupir, une latte du plancher a craqué. Là, je ne pouvais plus le nier, j’avais bien entendu quelque chose. J’ai retenu mon souffle. Le plancher a de nouveau gémi. Il me fallait me rendre à l'évidence : il y avait quelqu’un dans mon appartement.
Plusieurs détestent l'hiver, surtout quand il neige beaucoup. Les rues trop étroites, les ruelles impraticables, les trottoirs glissants, rien de cela ne plait à personne, sinon à Paul qui regarde par la fenêtre de sa cuisine les légers flocons de la première tempête de l'année. Il n'est tombé que 5 des 20 centimètres mais déjà le vieil homme met son foulard, n'en pouvant plus.