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vendredi 18 novembre 2011

Nouvelle en 140 caractères

La Zone d’écriture de Radio-Canada a lancé un défi aux aficionados de Twitter : écrire une histoire sur leur compte en incluant le mot #temps. Maximum 140 caractères, espaces incluses (ou inclus, c'est comme vous voulez).

Si la participation n'avait pas été limitée à un seul texte (sic!) par personne, je crois que j'aurais passé ma journée à en écrire.

Voici ma particpation:


«Mon chien m’a léché les doigts quelque temps, puis j’ai soupiré. De mon index encore mouillé, j’ai appuyé sur la gâchette.»


En attendant le dévoilement du gagnant, allez lire les 5 finalistes.

mercredi 24 août 2011

Le Vilain Petit Canard


Je ne m’y habituais pas. Depuis le jour de mon arrivée dans cette entreprise, je les trouvais de plus en plus laids. Gros, vieux, flasques, cons, ennuyants et laids. La réceptionniste, le commis d’entrepôt, le comptable, le patron, tous semblaient ignorer la mode, le charme, la beauté. Même tapi derrière mes paravents grèges, je sentais leur laideur, et bien sûr, le temps n’arrangeait rien à l’affaire. Tous les matins, je me dépêchais d’entrer dans l’enclos qui me servait de bureau et j’allumais mon ordinateur pour ne pas avoir à socialiser avec un de ces monstres.

Je supportais leur vue avec peine depuis 10 ans quand un jeune investisseur acheta l’entreprise. Le nouveau patron n’avait que trois mots à la bouche : look, jeunesse et look.  Le bureau ne tarda pas à changer d’allure, à commencer par la réceptionniste. Le thon qui accueillait les clients depuis 10 ans fit place à une jeune fille aux cheveux longs, au sourire blanc de blanc et à la poitrine de taille impressionnante sur laquelle on pouvait voir, les jours de grands décolletés, un signe chinois dont elle ignorait le sens mais qu’elle aimait bien flatter du bout des doigts quand on lui parlait.

Chaque jour, le patron entrait dans le cubicule d’un laideron en l’enjoignant de le suivre : «Inutile de fermer ton ordi, on s’en chargera», puis on ne revoyait jamais le lézard. Les tronches hideuses tombaient une à une, remplacées par un éphèbe digne d’Occupation double. Jour après jour, le bureau gagnait en jeunesse et en beauté. Je me suis surpris à sourire de plus en plus, à fraterniser avec mes nouveaux collègues, à blaguer avec mon patron. On jasait gym, jeux vidéo, cul de secrétaires. Je ne me souvenais pas d’avoir eu autant de plaisir et de fierté à faire partie d’une équipe de travail. Tout le monde semblait sortir d’une revue de mode. Moi qui avais toujours travaillé par nécessité, je me surprenais à avoir hâte de rentrer travailler, heureux d’œuvrer au sein de cette équipe de rêve dont la métamorphose m’apparaissait maintenant complète. J’avais peu de pensées et encore moins de sympathie pour toutes les limaces qui avaient hanté ma vie professionnelle jusqu’ici.

Puis ce matin, mon patron cogna à mon paravent en simulant un court solo de drum, m’invitant à prendre un café dans son bureau. Je me suis levé avec diligence. Mon sourire s’est figé quand il ajouta : «Inutile de fermer ton ordi, on s’en chargera».

jeudi 21 octobre 2010

Rebrousser paupières


50 mètres après la courbe que tu empruntes chaque jour depuis 10 ans, près de la ligne double, il y a un nid de poule; il te faut garder la voiture sur la droite pour ne pas avoir à te payer de nouveaux amortisseurs. Tu colles la droite avant même de sortir de la courbe, sans ralentir, sans y penser, sans attendre de voir le trou. Tant pis pour la marmotte ou l’improbable col bleu occupé à le reboucher. Tu as la tête ailleurs; les routines permettent de penser à autres choses.

Si tu avais un cheval, il te conduirait seul là où tu vas, par habitude, te laissant à toi-même, mais tu ne peux pas te fier ni sur une bête ni sur personne. Tu deviens un être de règles, laissant à la répétition le soin de souffler lentement la flamme. Ta vie ressemble à ces exercices d’anglais où tu devais écrire dix phrases une sous l’autre. Tu finissais par les écrire à la verticale : Kick, Kick, Kick… the, the, the… ball, balll, ball… Tu finis avec un résultat d’usine, droit, parfait, couleur de plomb, sans avoir la moindre idée de ce que tu as pondu. Tu survis. Tu es en mode «économie d’énergie» pour faire durer la pile plus longtemps. Mais pourquoi? Pour combien de temps? Pour en faire quoi? Tu ne comptes plus les invitations refusées, d’abord par fatigue, puis par habitude. Les étudiants n’osent plus poser de questions, les collègues, soudainement silencieux, passent devant ta porte sans s’arrêter, le téléphone ne sonne plus, sinon pour parler à Gilles. Tu ne connais pas de Gilles.

Faire la vaisselle te pèse, la télé est lourde et tu te couches en petite boule sans toucher ton amoureuse qui dort déjà depuis quelques minutes, voire des heures, des mois peut-être.

Puis il y a cet ami qui met tout son poids au bout d’une corde, qui te secoue, qui enviait peut-être la vie que tu salopes allègrement sans t’en rendre compte. C’est la main sur le vernis de son cercueil que tu ouvres les yeux, que tu t’obliges à observer la route avant de te ramasser un orignal en plein front. La vie est plus belle quand on la regarde.

mardi 31 août 2010

Vieux Mégot

J'attends l'autobus en regardant le temps passer. Près de moi, un jeune tente de tirer ce qu'il reste de nicotine d'un bout de cigarette qui ne lui dépasse pas des doigts. Ses aspirations sont vaines. D'une chiquenaude, il l'envoie au centre d'une rue qui a l'habitude de recevoir des mégots plus longs, du moins c'est ce que laisse croire l'opulence des maisons du quartier.

Une voiture ralentit à peine pour faire son arrêt obligatoire. À bord, une jolie jeune fille aux longs cheveux blonds, peut-être une de mes futures étudiantes, est assise près d'un homme que j'imagine être son père à voir la gueule qu'elle lui fait. Je me dis que l'âge de cette dernière tranche drôlement, près de ce vieux grisonnant. Je souris. Puis je soustrais l'âge de la fille du mien. La voiture a depuis longtemps disparu de mon champ de vision quand je ramène mon regard à mes pieds. Dans la rue, le mégot a cessé de fumer.

Je regarde l'heure. L'autobus n'arrive pas. J'arriverai à la maison plus tard que d'habitude ce soir.

jeudi 10 juin 2010

La Solution beauté

Aux premières lueurs de l'aube, j'ai descendu l'escalier extérieur pour ramasser le journal du jour. En quatre ans, le camelot n'avait lancé son quotidien sur le balcon que deux fois. Je me suis juré, une fois de plus, de lui servir une leçon de baseball, mais comme je ne lui avais jamais laissé un sou de pourboire, je m'estimais encore chanceux de recevoir un journal sec, en un morceau.


Plus par habitude que par curiosité, j'ai levé les yeux vers l'énorme panneau publicitaire planté sur le toit du commerce d'en face. Voitures, unes d'hebdomadaires, albums de Noël, crèmes exfoliantes ou pilules supposées gonfler l'homme endormi en moi s'y succèdent au rythme des modes. Chaque mois, un différent slogan prémâché commence mes journées: Just do it, Bonne semaine, Parce que je le vaux bien, Le Dur de dur, tous interchangeables. Chaque matin, je lis les mots, regarde les images sans y penser, je baille et je remonte allumer la machine à café. Chaque matin, sauf ce matin.


Une fille m'y attendait. Une fille nue, de dos, qui se cache les seins avec les mains sans trop qu'on sache pourquoi puisqu'elle faisait dos à la caméra. Elle regardait de côté, présentant son profil gauche. J'ai scruté son nez, son œil, son menton, le galbe de ses seins, la courbure de ses hanches, le sourire de ses fesses. Autant de régions connues, de pays visités, de souvenirs brûlants. Le mannequin était Ophélie.


Ophélie, qui avait fait le conservatoire, qui s'était toujours plainte de ne pas avoir de rôle, s'était donc résignée, comme tant d'autres de son métier, à la publicité. Toutes ces années de pratiques, d'études, d'auditions, de textes par cœur, de personnages à habiter, d'auteurs à saisir, de cours de danse, de chant, de maintient, de pose de voix pour finalement offrir son corps au hachoir de Photoshop et ainsi ajouter sa viande à la boucherie de la surconsommation qu'elle dénonçait depuis toujours. Tout près de son sourire, le panneau clamait «La solution beauté». J'ai eu un petit rire niais, sans conviction.


Ophélie était là, devant mes yeux humides, déshabillée, de dos, pour vanter les vertus d'un quelconque shampooing qu'elle n'avait sans doute jamais utilisé, du moins du temps de nos fréquentations.


Elle avait 27 ans, j'en avais 350.


Je devais appeler au boulot pour signaler que je prévoyais être malade.


vendredi 5 mars 2010

Buffet froid

Je passe en revue la chronique nécrologique. La liste des défunts est longue, comme à chaque jour. J'examine les photos et je trouve que tout le monde a la tête de l'emploi, comme si la photo avait été prise exprès pour l'occasion, en sachant qu'elle servirait à ce constat du carnage ordinaire.

Chaque jour, je trouve que la date de naissance de la plupart des froids se rapproche de la mienne, même qu'il n'est plus rare que ceux que l'ont voit sourire platement sur ces pages soient nés après moi. Comment est-il possible que ces vieux cons soient les mêmes enfants que je poussais dans la cour de l'école jadis, les mêmes qui chantaient des chansons idiotes sans se soucier du temps qui passe? Ainsi feu-feu-feu, les petites marionnettes...

J'ai cette terrible impression que je navigue dans une de ces barges qui s'apprêtent à accoster en Normandie, que dans quelques minutes, le flot de soldats me poussera sur la plage de Juno et que je courrai une dernière fois, essayant de respirer le plus longtemps possible entre les gouttes de plomb, entre les balles de mes souvenirs. Je n'ai jamais combattu que pour moi-même, et pourtant, je ne suis qu'une viande s'apprêtant à refroidir sous le regard inattentif des lecteurs du journal de Montréal. «Il laisse dans le deuil deux oeufs tournés avec patates rissolées.»

Dans l'encart publicitaire, je repère les spéciaux de la semaine de l'épicier du quartier. Je découpe la première photo de jambon que je vois. Ma photo nécrologique. Ce ne sera pas pire que ma tête d'aujourd'hui.

samedi 30 janvier 2010

Petits Coups

Ce matin, dès l'aube, il frappait la tige de fer avec une pierre. Trois coups, arrêt, silence. Il écoutait, sa seule main encore valide sur la tige. Puis il recommençait. Trois coups. Il frappait la tige comme il l'a fait hier matin, et le jour d'avant, et le jour avant celui d'avant. Hier, et les jours précédents, après ses trois coups, il creusait les décombres avec des bouts de planches, il lançait plus loin, toujours d'une seule main, des morceaux de ce qui était sa maison.


Mais ce matin, il n'a pas creusé. Il a continué de frapper ses trois coups, d'écouter. Parce que ce matin, sa femme, à moins que ce fut sa fille? ne lui faisait plus écho de sous le tas de ciment qu'est maintenant sa maison. Les décombres ne l'appelaient plus à l'aide, ne lui disaient plus «je t'aime» à petits coups assourdis.


Après quelques heures, peut-être plus, l'homme a lâché sa pierre qui a roulé quelques mètres plus bas. En regardant sa main écrasée, ses doigts inutilisables, il s'est dit qu'il devait maintenant s'en occuper. Sans compter qu'il commençait à faire drôlement faim.


Sur le chemin du village, il a bien croisé quelques personnes, des gens qu'il ne reconnaissait pas, dont quelques Blancs. Il ne se rappelait pas de la dernière fois où il avait vu un Blanc dans son village. Et c'est seulement quand l'un d'entre eux, habillé d'une blouse blanche, lui a dit qu'il devra lui amputer la main que l'homme s'est mis à pleurer.

mardi 12 janvier 2010

L'invité (dernière partie)

Le voleur était couché sur mon divan. Les yeux mi-clos, un bras sur le front, l’autre tombant vers le plancher. Il m’a à peine regardé avant de refermer les yeux et d’articuler lentement, le plus sérieusement du monde :

- T’es vraiment superbe, Naked Lunch.

C’était Frédérique. Elle était à moitié saoule et aux trois quarts ivre. La pièce embaumait tellement le Jack Daniel’s qu’il aurait été dangereux de craquer une allumette.

- C’est super gentil la raquette, mais j... j’suis pas intéressée à jouer au badminton… Pas... Pas ce soir en tout cas… Et arrête de sacrer… Ça te va pas...

- Fred?! T’es hyper conne d’entrer sans me prévenir!!! Tu réalises que j’aurais pu te tuer!! ai-je lancé en me redressant.

Frédérique a soulevé son avant-bras, m’a regardé les yeux mi-clos, a soupiré puis s’est recalée au creux du divan :

- Avec quoi? Ta raquette?

Pour rire, elle a eu un gloussement unique qu’elle a étouffé dans un profond bâillement éthylique.

- Come on… J’… J’étais juste trop saoule pour aller me coucher chez-moi, a-t-elle lentement articulé. P’is… P’is t’as juste à barrer ta porte… Y’a des malades dehors… Un jour, c'est un voleur qui entrera… Un voleur... Ou pire.

Fred s’est endormie sur ce message de sécurité publique. Pendant que je lui cherchais des couvertures propres, je me suis dit qu’il vaudrait quand même mieux que je prenne l'habitude de verrouiller la porte la nuit. Je suis allé à la porte d’entrée. La lumière de la pleine lune entrait par la fenêtre sans rideau. Dehors, pas un chat. J’ai soupiré. Montréal n’est jamais plus belle que la nuit. J’ai essayé de tourner le loquet de la serrure, mais la rouille, la peinture et des années d'inutilisation m'en ont empêché. J'ai soupiré et je suis retourné au lit.

J’ai regardé le vide une bonne heure, le temps que mon adrénaline se dilue et que revienne le sommeil. Les yeux au plafond, j’ai pris la décision d’abandonner le badminton et de m’inscrire dès que possible à des cours de golf.

lundi 11 janvier 2010

L'invité (3e partie)

Je me suis avancé vers la noirceur du salon et ce n’est que plusieurs pas plus loin que je me suis rendu compte que je tenais à deux mains une raquette de badminton. Pourquoi ne jouais-je pas à la balle molle ou au golf comme tout le monde? Dans les cas d’intrusion par effraction, le pouvoir de dissuasion d’un fer 3 n’a jamais été remis en doute. Comme je ne pouvais demander au brigand d’attendre le temps que je me trouve une arme digne de cette appellation, j’ai poursuivi mon approche du salon en prenant soin d’ajouter cent kilos à chacun de mes pas. Puis, d’une voix qui a mis une syllabe à s’aggraver, j’ai lancé:

- À ta place, le cave, je partirais tout de suite. Je suis armé...

La menace de l’arme auto-défensive. Voilà. Je n’étais pas mieux qu'Ahmadinejad du haut de son fauteuil présidentiel. À mon invective j’ai eu pour seule réponse un grognement abruti. Iranien ou pas, j’étais nu, armé d’une matraque à moineaux en carbone ultraléger, et je devais affronter un adversaire invisible, inconnu, qui s’exprimait comme un homo erectus. Pourquoi à moi? ai-je murmuré en regardant le plafond. Je me devais d’attaquer rapidement, profiter de l’effet de surprise pendant que l’intrus croyait encore que je pesais deux cent kilos. J’ai pris mon courage à bras-le-corps, j’ai fait deux ou trois pas éléphantesques de plus et, dans une motion à mi-chemin entre celle du Batman des années soixante et celle de Jackie Chan des années 90, j’ai allumé la lumière et j’ai bondi dans le salon en feignant un kata improbable et en poussant ce qui se voulait un cri de guerre barbare. En moins d'un dixième de seconde, j’ai scanné le ring que s’apprêtait à devenir mon salon. Aussi intimidant que l’inspecteur Cluso. Parfaitement ridicule.

- Mon tab…

Ma phrase s’est étouffée là. Il était inutile de blasphémer plus loin.

vendredi 8 janvier 2010

L'invité (2e partie)

Des pas qui se voulaient discrets se sont dirigés vers le salon, puis plus rien. J’ai fait un rapide bilan qui n’avait rien de rassurant : il y avait un intrus, un voleur, voire un terroriste dans mon appartement, j’habitais seul depuis plus d’un an et j’avais autant de talent pour les arts martiaux qu’un Teletubbies. Rien de tout cela n'offrait de résistance substantielle à l'inquiétude qui me gagnait.

Pour entrer si tard et si bruyamment chez les gens alors qu’ils dorment, le terroriste devait être hardi. Ou drogué. Ou les deux, en plus d'être affligé d'une légère débilité mentale qui lui voilait tout espoir d'empathie, et il devait sûrement posséder la musculature d'un King Kong. Comme il était sans doute venu pour se faire un petit système audio facile, je ne tarderais pas à entendre mon équipement électronique tomber dans une grande poche de hockey... Mais malgré une écoute digne des meilleures antennes de la NASA, je n'entendais plus de bruit. Rien. Niet. Aucun son, que du silence. J’ai attendu encore un peu avant de respirer. Le voleur semblait s’être évanoui. J’ai hésité sur la marche à suivre : devais-je faire le sourd? Le mort? L'endormi ou le redresseur de tort?

Bien qu’elle était de loin la moins agréable, la dernière option m’a semblé la seule valide. J’ai décidé d’aller voir, en essayant de ne pas penser aux conséquences possibles de mon geste. J’étais aussi nu que j’en étais capable, et je suis capable de beaucoup quand on parle de nudité. Mon coeur battait dans mes lobes d’oreilles. Avant de sortir de ma chambre, j’ai pris le premier objet, la première arme qui m’est tombée sous la main.

jeudi 7 janvier 2010

L'Invité (première partie)

Je me suis réveillé en sursaut, assis dans mon lit. Mon réveille-matin indiquait 3h33. J'étais trop endormi pour faire un vœu. J’ai mis quelques secondes à distinguer le réalité du rêve et je me suis demandé si le bruit qui m’avait sorti des bras de Morphée était réel. J’ai prêté l’oreille au silence. Prêt avec intérêt. Rien. Même ma clarinettiste de voisine dormait, c’est dire si c’était silencieux.

J’étais pourtant familier aux sons de cet appartement que je ne pouvais me résigner à laisser. Plusieurs m’ont pourtant conseillé de déménager. Trop grand, trop cher, trop chargé de souvenirs. J’aurai pu le quitter pour un autre moins lourd, mais on ne choisit pas les appartements d’après rupture, comme on ne choisit pas nos amis quand on tombe; on s’accroche à celui qui est là, et après, on doit trop. Alors je restais ici, le temps de ne plus rien devoir à personne, que retombe la poussière.

J’ai passé une main lasse sur mon visage et j’ai soupiré en relâchant mon attention. Comme je m’apprêtais à me recoucher et à m’assoupir, une latte du plancher a craqué. Là, je ne pouvais plus le nier, j’avais bien entendu quelque chose. J’ai retenu mon souffle. Le plancher a de nouveau gémi. Il me fallait me rendre à l'évidence : il y avait quelqu’un dans mon appartement.

jeudi 10 décembre 2009

Paul et la neige

Plusieurs détestent l'hiver, surtout quand il neige beaucoup. Les rues trop étroites, les ruelles impraticables, les trottoirs glissants, rien de cela ne plait à personne, sinon à Paul qui regarde par la fenêtre de sa cuisine les légers flocons de la première tempête de l'année. Il n'est tombé que 5 des 20 centimètres mais déjà le vieil homme met son foulard, n'en pouvant plus.

Dans son garage, sa souffleuse est fin prête. Paul a bichonné et huilé sa mécanique tout l'été, et la Yardworks surdimensionnée semble trépigner, impatiente d'avaler la neige de la ruelle.

Si pour tout le monde, un hiver enneigé condamne à la réclusion, pour Paul, c'est la saison où ses voisins ont enfin le temps de lui parler, de prendre de ses nouvelles, de lui faire des blagues, de lui demander, comme ça, «ah, by the way, comme tu passes par là...», s'il pourrait faire un tour dans leur entrée de cour. Paul passe toujours par là quand il neige.

Comme l'an dernier et celui d'avant, il refusera leur argent. Il est bien trop heureux de se sentir utile.

Secrètement, le soir venu, seul devant son vieux poste de télé, Paul souhaitera qu'il neige encore le lendemain. S'il pouvait neiger jusqu'en juillet, il n'en serait que plus heureux.

samedi 5 septembre 2009

Moi j'ai quitté mon pays bleu

Comme j'avais pas mal d'avance, je laissais lentement défiler le décor que m'offrait cette route de campagne. Tant de soleil, d'espace, de silos aux inscriptions «ferme Machin» me rendent immanquablement heureux. J'ai baissé les fenêtres et levé un peu la voix de Roger Whittaker qui chantait à ce moment-là. La vie savait se faire douce parfois.

Je suis arrivé au village en faussant sur « moi j'ai quitté mon pays bleu », et c'est sur la note finale que je l'ai vue : un roulotte à patates frites ! Pas un restaurant « Chez Mimi» ni un snack graisseux au fond d'une entrée en gravier mais bien une vraie de vraie roulotte, les roues bien serrées entre deux cales de bois, fenêtre ouverte sur un stationnement de fortune, une roulotte comme il y en avait partout dans mon enfance. Je n'avais pas très faim, mais j'avais du temps et je n'ai pu m'empêcher de m'arrêter, question de profiter de cet improbable vestige du passé avant qu'il ne disparaisse au profit d'un Tim Horton's. J'ai le cholestérol nostalgique, docteur, je n'y peux rien.

C'est un enfant de 8 ans sifflotant du Whittaker qui s'est approché de la roulotte. Je n'avais pas à regarder le menu signé Bonne(!) appétit : je commanderais au vieil homme graisseux un peu blaséce sera un cheese ketchup-oignon avec 1$ de patates, comme dans le temps.

La moustiquaire de la fenêtre s'ouvrit sur le visage régulier d'un homme bien mis, plus jeune que moi, coiffé d'un filet à cheveux d'un chic fou. J'ai cherché sans succès mon vieil homme dans le fond de la roulotte avant de donner, un brin hésitant, ma commande.

Quand l'homme enfila des gants chirurgicaux pour préparer mon hamburger, mon sourire niais disparut totalement. Où était mon monsieur aux cheveux graisseux, une cigarette avec ça de long de cendres au bec ?

Je suis revenu à ma voiture avec un hamburger dont la boulette, bien centrée dans son pain, ne contenait assurément ni cheveu ni sueur, un sandwich qui pourrait se mériter une note parfaite au ministère de la salubrité.

Je ne sais quand ça s'est produit, mais sans que je m'en rende compte, j'avais bel et bien quitté mon pays bleu pour un tout blanc, tout propre. Propre propre propre.

Jamais souvenir ne m'aura paru aussi fade et aseptisé que cet hamburger.

samedi 2 mai 2009

Correction

- Je peux vous parler?

C’était Cecilia, une de mes étudiantes les plus appliquées cette session. Elle se tenait droite dans le cadre de porte de mon bureau. Dans sa main, quelques feuilles roulées qu’elle tenait trop fermement.

- Moui. Ça va, Cecilia?

- Pas vraiment. Je voulais vous parler de ma composition.

Elle m’a tendu le rouleau de papier tout chiffonné.

- Je voudrais que vous le recorrigiez.

Dans un concours d’impolitesse, Cecilia savait prendre les devants rapidement. Devant sa mauvaise humeur manifeste, j’ai choisi de passer outre.

- On peut regarder la correction ensemble, si tu le veux.

J’ai rapidement regardé la note : 85% avant les fautes.

- C’est pas mal, 85%, non?

- C’est parce que je n’ai PAS eu 85% mais 55%! 55% monsieur! C’est ri-di-cule. Mon travail vaut plus que ça!

- En effet, dis-je. Il vaut 85%. Mais tu as fait… laisse-moi regarder… 93 fautes! Compte-toi chanceuse qu’il n’y ait que 30% de la note alloués aux fautes! Selon moi, 93 fautes, ce devrait être un zéro automatique.

J’avais déjà eu ce débat avec des collègues. À mon arrivée au cégep, j’enlevais un pour cent par faute, sans limite. 100 fautes = 0% avant même d’évaluer le reste. Disons qu’après la surprise initiale, les étudiants se forçaient un peu pour ouvrir leur dictionnaire. D’ailleurs, à l’époque, une évaluation de moi sur Internet me traitait de «bitch» à la correction. J’en étais pas peu fier! Mais les collègues m’ont fait comprendre (lire : m’ont obligé à comprendre) qu’un maximum de 30% pour les fautes était la règle. Je suis encore convaincu que c’est un maximum ridicule et qu’un étudiant qui fait 120 fautes ne mérite pas la même note que celui qui en fait 30, et surtout ne mérite pas de passer un cours de français de niveau collégial (pas secondaire : collégial!). Mais non, on fait passer à 70% des étudiants qui ne savent pas chercher un mot dans le dictionnaire, qui accordent des adjectifs au pluriel en y ajoutant -ent…

- Oui, mais ma compo fait près de 900 mots. 93 fautes sur plus de 900 mots, ça signifie plus ou moins 90% de mots bien écrits, non?

Là, j’avoue que sa logique m’a scié.

- Ne joue pas à l’idiote. Tu sais bien que ce n’est pas comme ça que ça fonctionne.

- En plus, il y a plein d’endroits où vous écrivez que ça ne se dit pas, que la phrase est anagrammaticale…

- agrammaticale.

- C’est ça je disais. Pourtant, j’ai montré les phrases à des amis, et ils les comprennent.

- C’est pour ça que j’ai écrit agrammaticale et non incompréhensible.

- Mais si vous comprenez, il est où le problème?

J’ai regardé derrière elle. Aucune caméra, aucun moustachu pour crier «Surprise sur prise!» J’ai soupiré.

- Pour ce que je vois, on a un problème d’intercompréhension et qu’il n’y a pas de problème avec la correction de ce travail.

- Oui il y en a un : c’est pour cela que vous allez le recorriger! Je ne suis pas au cégep pour avoir des notes de 55%.

Euh…

- En effet, tu es au cégep pour… (j’ai faussement hésité) …apprendre!?

- Et pour avoir ma bourse d’excellence!

Voilà, on y était. La bourse d’excellence comme objectif pédagogique. L’apprentissage devenait secondaire.

- J’avoue que ta note ne t’aidera pas dans l’atteinte de tes objectifs pédagogiques, ajoutai-je, un rien railleur.

- C’est pour cela que vous allez recorriger mon travail. J’ai travaillé plus que n’importe qui pour ce travail, ce n’est pas juste que j’aie 55%.

- Tu sais, Cecilia, un travail scolaire, c’est comme une compétition d’athlétisme : ce n’est pas nécessairement celui qui s’est le plus entrainé qui finit premier.

Mon étudiante semblait me trouver vraiment étrange avec mes analogies à la con. Elle a choisi de l’ignorer et de continuer sur un ton faussement compatissant.

- Mais en même temps, je ne suis pas bête. Je sais qu’avec tous les étudiants que vous avez, vous n’avez pas le temps de bien corriger tous les travaux que vous recevez.

Houla… Volà qu’elle m’accusait de bâcler mon travail, de tourner les coins ronds.

- Tu sais, Cecilia, si tu veux une nouvelle correction, il y a une façon de le demander. Je te laisse deviner comment mais je te donne un indice : ce n’est pas comme tu l’as fait ce matin. Ensuite, si tu crois qu’une révision de notes s’impose, tu peux en faire la requête, la marche à suivre est indiquée dans ton agenda. Jusqu’ici, tout ce que j’ai entendu, c’est une fille frustrée de recevoir une mauvaise note qui, malheureusement, reflète la qualité de son travail. Ma seule recommandation est de te reprendre au travail final.

Elle semblait à peine décontenancée.

- Mais… Je n’ai jamais, JAMAIS eu de notes aussi basses en français au secondaire.

- Donc ce n’est pas ma correction le problème, mais bien celle de tes profs au secondaire.

- Il faut dire que c’était facile au secondaire, le groupe était super faible.

- Je te laisse en tirer tes propres conclusions.

Elle m’a regardé d’un air un peu dubitatif, toujours avec des éclairs de colère dans les yeux.

- Je crois qu’on a fait le tour de la question, ai-je ajouté pour conclure la discussion.

- Non, vous allez quand même recorriger mon travail.

- Quand tu me le demanderas, je verrai si je le ferai.

Sa mâchoire est littéralement tombée au sol.

- Mais je vous le demande depuis 20 minutes!

- Écoute Cécilia : je te laisse là-dessus. Tu réécouteras cette conversation dans ta tête chez toi. Puis la semaine prochaine, si tu veux encore une recorrection de ton travail, tu me la demanderas. Sur ce, il faut que tu partes, j’ai du travail. Des corrections que je n’ai pas le temps de bien faire, justement.

Le cours suivant, Cecilia ne m’a pas adressé la parole. Elle était assise juste devant moi et a passé les 3 heures du cours à me fusiller du regard. J’étais un canard au stand de tir. Sorry, nice try but no toutou.

Aux dernières nouvelles, Cecilia se préparait comme jamais pour son travail final. Je lui souhaite de tout cœur un 90%. Et si jamais elle l’obtient, je suis sûr qu’elle se dira que j’étais un mauvais prof.

Le pire, Cecilia. Le pire.

jeudi 29 janvier 2009

Isolement

Fabien ne sait plus à quel âge il a cessé de diluer les choses.
Il lui a toujours paru incongru de vouloir goûter aux plats des amis lors d'un repas, comme si ça enlevait du plaisir à son repas, comme s'il se brossait les dents entre deux biscuits, comme s'il allait à Rome regarder un diaporama sur l'architecture chinoise. Chaque chose a son heure réservée. Après tout, si les médecins ne font entrer qu'un patient à la fois, il ne voyait pas pourquoi il en serait autrement pour sa nourriture.

Enfant, il a rapidement cessé de mettre du lait dans son chocolat en poudre. Puis il en a fait de même avec son café et ses céréales: un verre de lait à côté du bol. L'un, puis l'autre. Ensuite vinrent les pâtes sans sauce, les viandes sans légumes… Il ne détestait pas le lait ou les légumes, il préférait seulement déguster la vie par ingrédient isolé.

À l'âge de 20 ans, il suivait à la lettre le guide alimentaire canadien, sauf que chaque groupe alimentaire avait sa journée: viande - lundi, légumes - mardi, fruit - mercredi, produits laitiers - jeudi, céréales - vendredi, puis il recommençait. Le jour des fruits, jour qu'il préférait, Fabien les achetait d'un coup et les consommait dans la journée. Rien ne pourrissait jamais chez lui.

Tout cela était simple. Jusqu'à ce qu'il rencontre Marianne et son pâté chinois.

lundi 26 janvier 2009

La Voisine (dernière partie)

J'ai senti le besoin de me défendre, moi qui pensais candidement être défendu.

- Je ne l'espionnait pas, je suis allée l'avertir qu'elle faisait un boucan d'enfer alors que la petite dormait.

Les policiers ont regardé la petite qui les épiait par en dessous, intriguée par ces deux monozigotos. Comment lui en vouloir…

- C'est que cette petite… a entrepris le premier clown.

- …ne semble pas dormir, a fini le second.

J'étais dans un mauvais rêve. J'allais me réveiller et rigoler de toute cette histoire. J'ai attendu quelques secondes sans que rien ne se passe. Il fallait que j'abdique: je nageais en pleine réalité.

- Bien sûr qu'elle ne dort pas, ai-je fini par ajouter. La voisine fait du bruit et vous êtes rentrés avec vos bottes et tout.

Comme des nageuses synchronisées, les deux représentants de la loi ont regardé leurs bottes et ont plissé légèrement les yeux. Visiblement, ils prenaient l'explication comme une accusation.

- Écoutez. La voisine faisait du bruit, je suis allé l'en avertir. Point à la ligne. C'est pas de l'espionnage, c'est une question de bon voisinage.

Celui qui avait l'air le plus taré des deux a levé une main énorme pour me couper la parole.

- Monsieur, quand cela arrive…

- …il faut appeler la police.

- En attendant, quelqu'un a porté plainte contre vous…

- …on doit intervenir.

Tout cela durait déjà depuis trop longtemps.

- Supposons que la fo.. la femme d'en haut ait raison, qu'allez-vous faire?

- Alors vous reconnaissez l'espionner?

Woooo, le terrain était plus glissant que je ne le pensais.

- Non! Je n'ai espionné personne. J'ai d'autres chats à fouetter que de glisser le regard entre les rideaux de la dame d'en haut.

Les policiers se sont regardés en souriant en coin. Ils s'amusaient de la situation, les bougres.

- En fait, elle nous a plutôt déclaré que vous…

- …écoutiez à votre plafond puis alliez lui répéter...

- …ce que vous aviez entendu.

Pas à dire, elle était douée, la voisine.

- De toutes manières, ont continué les longs bras de la loi,…

- …on voulait seulement vous avertir.

- Vous avez l'air de type bien…

- …nous imaginons que vous allez savoir quoi faire.

Je l'ignorais, en vérité, mais ils pouvaient être certains qu'il y aurait une suite.

- Alors, merci bien messieurs, ai-je dit en leur montrant le chemin vers la porte. Soyez assuré que j'ai bien retenu la leçon.

Sur le pas de la porte, dans un élan de camaraderie auquel je ne pouvais m'attendre, le plus affecté des deux a lancé à la blague:

- En tout cas, on peut comprendre que vous soyez tenté de l'espionner…

Le second de rire en ajoutant:

- …avec son petit déshabillé, plusieurs ne pourraient s'en empêcher!

Et ils sont partis, en se bidonnant tranquillement.

Après avoir recouché la petite, j'ai longuement valsé entre une contre-attaque ou l'abandon d'une guerre qui s'éterniserait à coup sûr.

Mais comme ma fille partait avec sa mère pour les deux prochaines semaines et que ma charge de travail au bureau n'était pas très contraignante, je me suis dit que des plaintes à répétition à la police pour grossière indécence sur mon balcon seraient une bonne idée…

mardi 13 janvier 2009

La Voisine (seconde partie)

Les deux policiers, baraqués comme dans une publicité de gym de quartiers populaires, sont allés sonner chez ma comédienne du dessus. Quelqu'un d'autre avait dû se plaindre du bruit. Je me sentais un peu moins seul.

Quelques minutes plus tard, j'ai entendu les pas bottés des policiers redescendre l'escalier jusqu'à mon palier. Au même moment, la voisine a donné quelques coups de talons à mon plafond. C'est quand j'ai entendu les policiers frapper à ma porte que j'ai compris que ce petit air percussif se voulait moqueur.

En apercevant leur faciès avenant de tueurs de chats, je savais que les bonnes nouvelles étaient pour un autre jour.

- On peut entrer? m'a demandé le plus costaud

Avant même que j'aie eu le temps d'acquiescer à leur demande, ils sont entrés. Leur discrétion toute militaire jusqu'à la cuisine a eu tôt-fait de réveiller la petite à nouveau, cette fois curieuse de toute cette activité inhabituelle.

Lorsque je les ai rejoints, aucun des deux gentils gardiens de la paix publique n'a eu ne serait-ce qu'un regard vers la petite. Il y a eu quelques secondes de silence durant lesquelles je me suis demandé s'il était opportun de leur offrir une bière. Puis un des policiers, celui qui scrutait les diverses factures qui tapissaient mon frigo, s'est tourné vers moi, d'un bloc, comme si tout au nord de sa ceinture était soudé. Même ses yeux semblaient vissés dans leur orbite, ce qui l'obligeait à tourner toute le haut du corps chaque fois qu'il regardait dans une nouvelle direction, un peu à la manière d'un hibou. Il m'a regardé sans gentillesse, avant de briser le silence.

- Vous savez sans doute ce qui nous amène ici.

Il détachait ses syllabes comme une sorte de Terminator de marché aux puces. J'ai préféré opiner de la tête de peur de me mettre à rire si j'ouvrais la bouche. Ma bonne humeur s'est toutefois vite estompée.

- On a reçu une plainte contre vous. La dame d'en haut nous a appelé ce soir…

- …à 20h25…, a précisé le second clown.

Le premier a continué comme si ce tour de prise de parole était normal.

- …pour rapporter que son voisin…

- …vous...

C'était qui, ces drôles?

- …se mêlait de sa vie privée en écoutant au travers sa porte…

- …et en l'espionnant de derrière les rideaux.

Et toc. J'étais stupéfait. Non seulement j'avais à faire avec une voisine folle, mais les deux hurluberlus devant moi semblaient sortir de la même boîte de céréales.

lundi 5 janvier 2009

La Voisine (première partie)

Ça marchait fort en haut. Ça s’engueulait un peu aussi. De plus en plus, en fait. La petite s'est réveillée en pleurant.

- Papa, i'a du b'uit!

Faisait chier. Comment ils faisaient, dans le temps, avec leurs familles de 12 entassés dans des 6 et demi pièces doubles à l'étage? L'insonorisation ne devait pas être mieux qu'aujourd'hui. À moins qu'ils vivaient en noir et blanc, muets comme un film de Chaplin…

Ce n'était pourtant pas dans les habitudes de ces voisins-là. Ceux du dessous, oui, avec leur cuite de chèque mensuel. Celui d'à côté aussi, avec ses moult conquêtes alcoolisées de 3h du matin. Mais du dessus? On ne les voyait ni ne les entendait jamais. Des fantômes.

J'ai consolé la petite, lui ai expliqué que les voisins discutaient, qu'ils se tairaient bientôt. Mais ils me faisaient mentir et ne la fermaient pas. Surtout elle. Et quand les talons, comme les portes, se sont mis à claquer plus fort, je suis monté en me rappelant de surtout garder mon calme, rester poli…

- C'est quoi le problème? m'a servi comme entrée en matière la petite bonne femme d'en haut en ouvrant la porte. 22 ans, au plus 40 kilos, peignoir léger, cheveux en bataille. 10$ sur une engueulade d'après baise. Certains faisaient l'amour après une empoignade, d'autres faisaient le contraire. D'une manière ou l'autre, l'objectif reste habituellement de rééquilibrer les choses.

- C'est que…hum… On vous entend en bas. Ça a… hum… réveillé la petite.

- Il est même pas 20h30!

- C'est que… hum… 20h30, c'est une heure normale de dodo pour une enfant de 2 ans.

- La loi dit que je peux faire du bruit jusqu'à 23h.

- Je… hum… j'voudrais pas faire mon chiant, mais c'est faux: la loi dit que des cris, ça dérange, peu importe l'heure.

- Je criais pas.

- D'accord, vous ne criiez pas. Disons plutôt que... hum... vous traitiez votre copain de «méchant-cave-fini-à-bitte molle» pas mal fort, au point où la petite va me demander ce que ça signifie demain matin. Alors, je voulais juste vous demander de…

- J'ai deux trucs à vous dire, voisin: primo, je n'ai pas de copain; deuxio, je suis seule en ce moment, et tertio, je fais ce que je veux, je suis chez moi.

Bien ma chance. En plus de ne pas savoir compter, ma voisine fantôme se jouait des scènes de théâtre en solo et avait pour devise «vivre et laisse-moi vivre». Après, on se demande pourquoi les banlieues débordent…

- Je voulais seulement vous demander de faire un peu moins de bruit, c'est tout…

- Pas de ma faute si les murs sont en carton.

Sur ce message de paix publique, elle a claqué la porte. Je suis redescendu, dubitatif sur la suite des évènements.

Mais contrairement à ce que je croyais, ma comédienne en répétition n'a plus fait de bruit, du moins jusqu'à ce que je vois une voiture de police se garer devant chez moi, une demi-heure plus tard.

dimanche 7 décembre 2008

Mstislav - Dernière partie

Il entreprit alors de m'expliquer sa théorie sur ce qui sépare la femme munie d'une sableuse d'un plancher aux qualités de fesses de nouveau-né.

- Le plaisir de les femmes, c'est changer ce qu'elles ont. Elles ont formidable visage? Elles maquiller. Elles ont maison? Elles changer couleurs les mours. Les femmes aimer changer les choses. C'est pour ça que dans l'amour, les femmes préférer les… comment dire… мошенник…

Je devinai où il voulait en venir et je traduis sa pensée.
- Voyou? Brute? Bandit?

- Ha! Ha! Tout cela, da! Les femmes aimer voyous parce qu'elles aimer pouvoir changer voyou. Plous elles ont choses à changer, plous elles sont heureuses. Mais jour venir où les femmes obliger d'affronter vérité: мошенник rester мошенник, malgré cravate et rasoir avec cinq lames.

Je trouvais amusante sa petite réflexion, mais je voyais mal en quoi elle s'appliquait aux planchers. Mstislav comprit qu'il devait aller plus loin dans ses explications.

- Écoute, Dâniel. Pour sabler plancher, il faut aimer plancher. Moi, j'aime les femmes, la vodka, et les planchers. Je pouvoir connaître les gens en regarder son plancher. Personne pouvoir sabler plancher si pas amoureux de plancher. Travail trop dour et trop ennouyant sinon. Mais il y a plancher qu'on pouvoir pas sabler: trop cire, trop colle, trop clou, trop n'importe quoi. Et il faut savoir dire: ce plancher pas pour moi. Si femmes sabler plancher, elles sabler n'importe quel plancher, sourtout les planchers n'importe quoi.

Mstislav s'arrêta brusquement sur cette parole et se renfrogna d'un coup, perdant en une seconde tout l'entrain qu'il semblait avoir retrouvé. Il regarda la surface de la cuisine, à moitié claire, à moitié noire.

- Je… J'avoir mal jougé le plancher. Il n'êtrait pas pour moi. Comme femme, je penser être capable de changer son natoure. Mais natoure être profond. Trop difficile. Je briser mon dos, je briser ma machine, je briser mon moral.

Une main sur sa ceinture, Mstislav se frotta longuement les arcades sourcilières avec le pouce et l'index. Il semblait être en proie à un terrible dilemme intérieur qui dura quelques secondes. Puis, il lança, sans me regarder:

- Mais je ne pouvoir briser mon répoutation.

Sans gêne, il sortit sa flasque de vodka, la but d'un trait et expira un long haaa! comme s'il se libérait d'un formidable boulet. En remettant la flasque dans sa poche, il dit en souriant:

- Toi savoir que femmes coûter cher…

Le grand Russe me fit signe de la main de m'écarter. Et au moment de remettre en marche la sableuse, Mstislav ajouta tout bas:

- Il y va avoir soupplément.

vendredi 28 novembre 2008

Mstislav - Troisième partie (de... quatre, tiens!)

J'aurais parié qu'en m'apercevant, Mstislav se serait ressaisi maladroitement et aurait rougi de malaise. Mais le grand Slave se rua plutôt dans mes bras pour se faire consoler. À cause de sa carrure et à cause de ma surprise, je pouvais à peine lui donner de petites tapes empathiques dans le dos. Sa musculature n'avait d'égal que ma surprise. Entre deux sanglots, Mstislav me dit:

- Je souis désolé, Dâniel…
- …
- …
- Désolé de quoi, Mstislav?
- Je ne pouvoir pas… finir… sabler plancher!

Puis Mstislav hoqueta de nouveaux pleurs puis se calma.

- Je fais plancher depouis 20 ans. C'est première fois que je fais comme oune femme.

Je ne pus retenir un haussement de sourcils empreint de surprise.

- Que veux-tou... veux-tu dire?

Il resta silencieux, la tête sur mon épaule. Je tentai de l'obliger à se redresser en repoussant ses épaules mais j'étais forcé d'admettre que j'étais sous sa masse, à sa merci. Heureusement qu'il comprit mon malaise et qu'il se releva.

Mstislav sembla revigoré par ma question et quelques secondes plus tard, il eut été impossible de deviner que cet homme pleurait à chaudes larmes sur sa machine quelques minutes plus tôt.

- Vous avez déjà vou oune femme sabler plancher, Dâniel?

Je regardai mon plancher de cuisine et dus admettre que c'était le premier que je faisais sabler. Il m'était donc impossible de savoir si des femmes avaient pour gagne-pain le métier poussiéreux qu'exerçait mon géant pleurnichard.

- En effet, je n'ai jamais vu de femme sabler de plancher. Peut-être est-ce parce que le travail est physiquement trop exigeant pour elles?

Mstislav parut me trouver très drôle et il se montra heureux de mon ignorance.

- Chez-moi, ma femme battre moi si je dis âneries comme ça, dit-il, moqueur.

J'essayai d'imaginer sa femme et honnêtement, j 'eus un frisson.