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dimanche 11 juillet 2010

Par le mauvais bout de la lorgnette

Il y a ce gars atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, qui fait des bruits de gorge sans cesse, comme si toute sa vie, il digérait une énorme pizza. Entre ses éructations, il engueule une vieille femme l'accompagnant, femme qui doit être sa mère et qui en a visiblement honte. Puis il y a ce quinquagénaire qui raconte la bataille de chats qui l'a amené, bras enflé, à attendre ici. Et cet autre qui raconte à tous que sa femme l'a laissé seul avec ses 3 enfants après qu'il ait construit de ses mains leur maison de 39' de large par 45' d'épais (sic!) (Je doute qu'il n'ait jamais constaté que la prémisse à ses malheurs faisait une allusion à la Grande Guerre! Je n'ai pas osé lui demander si le cabanon mesurait 14' par 18'…) Et il y a cette famille de 12 accompagnant un des leurs - personne à part eux ne sait lequel - avec repas du resto et bonne humeur. Et cette trop jeune maman avec ce trop jeune bébé, et cette trop vieille dame, seule et confuse, et ce petit homme qui a visiblement passé sa vie à trop fumer et pour qui l'heure des comptes semblent être arrivée, et cette fille de Pinel, chevilles entravées et poignets attachés à la ceinture, entourée de deux sinistres aux bras gros comme mes cuisses. Tout ce monde, espérant avoir gagné la pôle position au triage, soupire dans l'attente au milieu d'un incessant ballet de civières, d'ambulances, de chaises roulantes, de petits sacs emplis de liquides au bout de poteaux à roulettes. Et il y a nous, avec notre plus jeune qui émerge de convulsions fiévreuses un peu paniquantes.


On a passé une nuit à l'urgence d'un hôpital à regarder l'espèce humaine par le mauvais bout de la lorgnette, une nuit à mesurer les détresses respectives, à jauger les malheurs invisibles, à se dire que finalement, pourquoi se plaint-on?...


Une nuit à flatter la tête somnolente de son fils, à l'assurer que tout ira, qu'on est là, et qu'à voir assis près de nous des parents qui accompagnent leur enfant de 22 ans, on le sera pour longtemps.

vendredi 3 novembre 2006

Un Prof près de chez vous... Septième et dernière partie: la revanche des tronches

La Revanche des tronches est habituellement féminine et se prénomme souvent Marie-Denise.

Durant ses études secondaires et collégiales, Marie-Denise a connu un grand malheur : un intérêt pour le français et la littérature allié à un physique ou un visage un peu ingrat. Il en a résulté une frustration longtemps tue qu’aujourd’hui elle laisse éclater au grand jour. D'ailleurs, ses aspirations professorales sont autant motivées par son amour de la littérature que par son désir de vengeance.

Ses cours commencent sous la menace de l’échec et une démonstration de la sévérité impitoyable, principalement envers ceux qui incarnent aujourd’hui ses bourreaux d’hier : les belles et les jars sont les premiers à payer la note, puis viennent les sportifs, les humoristes en herbe, tous ceux pour qui lire est une corvée. Ceux-là mourront sous son sarcasme. Marie-Denise n’est pas en mission divine et ne veut pas se lester de tortues, fussent-elles motivées; elle les a subies toute sa vie, maintenant elle mène la marche! Elle veut prêcher aux convertis voire aux pratiquants purs et durs, et elle l’avoue sans gêne. À ses collègues, elle parlera des autres étudiants – ceux qui n’ont pas des notes de plus de 85% - en utilisant de vocables tels tatas, tartes, pas vites, et les imitera en appuyant sa langue à l’intérieur de sa lèvre inférieure…

Extérieurement, on reconnaît la Revanche des tronches par son rire strident et par l’agencement des couleurs de ses vêtements. Ce dernier peut laisser croire que Marie-Denise est daltonienne ou, au contraire, chromomaniaque : soit ses blouses jurent à la limite du supportable avec ses pantalons en fortrel ou sa jupe d’une coupe démodée, soit chaque morceau de vêtements arbore un ton différent d’une même couleur, couleur que Marie-Denise prendra soin de rappeler avec son ombre à paupière et ses bas collants.

À la fin de la session, Marie-Denise aura hérité de douces épithètes telles que gouine frue, Elsa la louve des participes passés ou Vlad T-épaisse, et elle sera détestée de la grande majorité. Mais bientôt, les survivants de ses cours en parleront avec un mélange de crainte et de fierté, comme les vieux parlent des horreurs de la guerre auxquelles ils ont survécu.

Et les deux tronches qui l’auront adorée deviendront, à leur tour, professeurs de littérature au cégep...

***

Voilà un court tour d'horizon de ce monde dans lequel j'évolue. J'ose espérer que maintenant, vous ne doutez plus de la nécessité de nos deux mois de vacances...

vendredi 27 octobre 2006

Un Prof près de chez vous, sixième partie : le pseudo-Français

Le plus grand drame du pseudo-Français est de ne pas être né en France. Il adore la Frânce! Mieux : il vénère Pâris! Nation du savoir et de l’intellectualisme, seule et unique source du théâtre, de la littérature… D’ailleurs, la littérature qui n’en sort pas n’est pas de la littérature. Ce professeur ne se donne même pas la peine d’ouvrir un roman québécois tant c’est de la sous littérature.

Le pseudo-Français ne lit que des livres qui ont gagné des prix et recevra invariablement, lors de l’échange de cadeaux de Noël, le livre récipiendaire du prix Goncourt. Ce soir-là, si le vin est bon, on l’entendra dire tabarnak avec le même regard joyeux qu’ont les enfants qui s’oublient à un plaisir défendu. Au retour des vacances, il sera redevenu lui-même et il rentrera au département en maugréant tout haut contre la neige, le froid ou dieu sait quoi, parce que pour lui, un Français, ça rouspète.

Le théâtre québécois subit le même sort que sa littérature; rien de bon ne peut émerger de ce côté-ci de l'océan, sauf si les créateurs s’appellent Robert Lepage ou Wajdi Mouawad.

Le pseudo-Français se nomme Gaétan Hébert ou Marie-Thérèse Toupin, mais cultive un accent impossible dont même les Français ne peuvent donner l’origine. Il vous dira que c’est parce qu’il a un jour enseigné en Europe, ce qu’une rapide recherche confirmera : en 1991, il y a travaillé trois mois… Depuis, il ne soupe plus mais dîne, il ne dit pas fin de semaine mais weekend, il ne magasine plus mais fait du shopping… car rien n’est plus français que de l’anglais avec un accent.

mardi 24 octobre 2006

Un Prof près de chez vous, cinquième partie: la pédagogue

L’œil extérieur verra en la pédagogue cette professeure dynamique et motivée que tous rêvent d’avoir et ce, malgré ses dizaines d’années d’expérience qui semblent avoir épuisé toutes énergies chez ses collègues. Cet habit lui permet d’être connue jusque dans les hautes sphères ministérielles. Cependant, le jupon dépasse…

Cette professionnelle, appelons-la Monique, court les formations pédagogiques offertes lors de weekends dans les hôtels de la province. Elle y connaîtra par leur prénom la plupart des conférenciers qui y sont invités. Monique y parlera du manque d’attention dont font preuve ses étudiants, qu’elle considère souvent comme des débiles légers. Pourtant, alors que les conférenciers déblatèrent, elle parle avec ses voisines tout le temps, fait répéter le lecteur, pose des questions trente minutes en retard, parfois sans écouter la réponse. Les profs sont les pires étudiants et elle tâche de le prouver.

Monique parle en long et en large de tout, et semble bien incapable de concision. Les gens qui la croisent auront beau multiplier les signaux de fin de communication – ces «bon b’en», «ouain, il est tard» et autres «ouaaaaaaais… ouais-ouais» - elle continuera à s’étendre sur l’ordre du jour de la prochaine réunion départementale. Elle a une opinion franche et directe sur tout, et pour Monique, être prof, c’est avant tout le dire.

Elle connaît toutes les techniques pédagogiques et tente souvent de les appliquer le temps d’un flop, car elle est incapable de se mettre à la place de l’étudiant : son plan de cours contient huit pages de descriptions techniques de l’apprenant, elle y cite des didacticiens allemands (en allemand) et aura une liste d’interdits longue d’une page et demie. À l'opposé, dans ses cours, elle aborde des textes qui parlent de groupes rock sur le déclin, de l’amour entre un jeune et son vélo rouge, ou de l’histoire inusitée du créateur des Pokémons.

Elle a obtenu moult dégrèvements au fil des ans, la plupart pour créer des banques de données qui recoupent divers traits estudiantins pour un meilleur test de sortie, dresser des listes de matériel pédagogique obscur ou établir des lexiques spécialisés. Elle inondera ses collègues d’anecdotes et de statistiques pendant la rédaction de son rapport, puis le tout s’estompera dans un étrange et profond silence. Un soir, dans cinq ou six ans, peu avant de s’endormir, un prof se souviendra que Monique avait travaillé sur quelque chose… mais quoi?

**

Je vous rassure, il ne me reste que deux profs - et non les moindres: le pseudo-français et la revanche des tronches. Après, retour à l'heure normale...

jeudi 19 octobre 2006

Un Prof près de chez vous, quatrième partie: le bordélique

L’environnement du bordélique tient du parfait négatif de celui du colonel. Le restaurant Zaziummm est zen au côté de cet univers surchargé : photos, découpures de journaux, posters étranges, livres empilés par dessus d'autres livres, certains ayant sûrement une valeur archéologique, bibelots de vente de garage, tout prouve que son bureau lui sert probablement d’entrepôt. Si on fouille bien, on y trouvera un bâton de hockey, quelques briques ou des bouteilles de bière vides.

Pour le bordélique, l’organisation tient de l’utopie. Il prétend cependant avoir un ordre personnel que lui seul comprend. Bien qu’il ait un classeur et des chemises, son système de classement est géo spatial : demandez-lui une feuille, par exemple l’ordre du jour de la prochaine réunion départementale, et il saura que cette feuille est sur le bureau, dans la pile du coin avant droit, dans le tiers inférieur. Le bordélique mettra tout de même 45 minutes bien chronométrées avant de la trouver, sans compter qu’il aura fait trois nouvelles piles de feuilles avec celle déplacée.

Ainsi, l’étudiant qui arrive à l’improviste pour avoir une copie du devoir remis au cours précédent est source d’anxiété, et la plus grande crainte du prof bordélique serait de tomber sur le travail non corrigé d’un étudiant qu’il a failli couler trois ans auparavant.

Son enseignement va dans le même sens. Ce type de prof sait à peu près où il s'en va, sans plus. Sa hantise de l’ordre en fait un improvisateur hors pair. En classe, il digresse sans cesse, profitant souvent d’un courant oblique pour suivre une autre voie que celle prévue. Invariablement, le bordélique émergera à la onzième semaine, réalisant soudainement que la session se termine bientôt et qu’il n’a couvert que la moitié du programme.

À la fin de la session, après une remise de notes à la dernière minute, le bordélique se jurera de faire un grand ménage dans son capharnaüm. Et le jour où il mettra enfin la main à la pâte, un collègue l’invitera à prendre une bière en lui demandant s’il n’aurait pas une petite place en périphérie de son amoncellement pour entreposer une dizaine de 33 tours qui lui semblent sacrilège de jeter…

Prof suivant: le pédagogue.

mardi 17 octobre 2006

Un Prof près de chez vous, troisième partie: le colonel

Maintenant que les fondateurs sont définis, voyons le reste du clan.
Aujourd’hui, le colonel.

Un jour il y a longtemps, pour une raison inconnue, un homme normal décida que plus jamais on ne rirait de lui, qu’il en avait son voyage de se faire prendre pour une valise, et qu’il saurait prévoir toute éventualité. Cet homme est devenu droit et ferme, prévoyant et méthodique, rigide à tous les égards. Cet homme est le colonel.

Le colonel connaît les règles et sait les appliquer. Pour ses collègues, il est le livre de lois auquel on revient en cas de doute. Pour les étudiants, il est une guillotine qui attend un repas. Peu d’entre eux viennent d'ailleurs le visiter. D’abord parce que dans ses cours les zones grises n’existent pas, ensuite parce que peu ont le courage de s’y frotter. L’étudiant qui s’y résignera sera observé par un regard couvert de verres épais comme ces lunettes de nerds qu’on retrouve au Dollorama, fera face à un homme habillé d’une chemise bien repassée sous laquelle on devine la force brute et noueuse de celui qui vit les poings serrés. Les chances de clémence sont minces, mais s’il l’obtient, l’étudiant sortira de sa rencontre avec le même soulagement que celui qui voit la vague du tsunami se retirer de son exiguë chambre d’hôtel.

On distingue le bureau du colonel de celui de ses collègues par la propreté qui y règne : chaque pile de travaux a sa couleur, chaque couleur, sa tablette. Peu de livres, peu de crayons, peu de bibelots, voilà l’univers qui l’entoure. C’est dans ce reg humain que le colonel travaille, parfois jusqu’à tard le soir, car il déteste apporter du travail à la maison.

En classe, le colonel est un partisan de la ligne dure. Son plan de cours, préparé des mois à l’avance, est archi-détaillé, chaque heure des 45 de la session minutieusement décrite. La surprise et l’improvisation lui sont étrangères. Ainsi, aucun retard n’est toléré et l’homme au regard dur ne semble ressentir aucun remord à couler un étudiant qui a obtenu 59,4%. Pendant ses cours, tout est jaugé, dirigé, minuté. Les étudiants ne l’aiment guère, mais tous doivent admettre qu’ils réussissent bien sous sa gouverne. Son austérité n’aura d’égal que le respect craintif qu’il obtiendra de sa troupe. Heureusement d’ailleurs, car le moindre écart de conduite, même un modeste murmure pendant un examen, l’agresse tels des ongles sur un tableau noir. Sa contenance éclatera alors, parfois à grands cris. Mais tant que tous, étudiants comme collègues, respectent les règles, il offre un quotidien discret et sans éclats où se terre une cicatrice douloureusement muette.

Demain (menfin, prochainement): le bordélique.

lundi 16 octobre 2006

Un Prof près de chez vous, seconde partie: le hippie

Comme le bobo, le hippie est en voie d’extinction. Il est aussi présent au département depuis la création des cégeps, à la différence que le cégep s'est construit autour de lui alors qu'il gisait là, par terre, trop gelé pour bouger. Il est resté à enseigner par amour de la poésie et des quelques étudiantes libertines du début des années 70.

Il a à son actif deux ou trois obscurs recueils de poésie ainsi qu’un casier judiciaire (trouble de la paix publique lors d’une manifestation en 1980 et possession simple de stupéfiant en 1976, 1979, 1985 et deux fois en 1992). De cette époque ne reste qu'une barbe dont la moustache est un peu plus jaune sous les narines, et une couronne de cheveux qu'il persiste à garder longs et attachés en queue de cheval. Peu importe le cours qu'il donne, il en profite pour faire de l'éducation sociale; le hippie parle des manifs auxquelles il a participé, vilipende le désengagement social des jeunes d'aujourd'hui et maudit les consignes disciplinaires collégiales, comme les présences obligatoires ou la remise de notes. Pour lui, éduquer, c'est faire les citoyens de demain : le français saura attendre.

Son pendant féminin, bien qu’elle jubile tout autant que son homme à l'idée de manifester devant les bureaux du ministère de l'éducation, est plus soft. Ses sessions débutent par une séance où tous les étudiants doivent se toucher sans user de leurs mains. Elle enseigne au feeling et laisse passer les étudiants qui ont de bonnes vibrations, même s’ils ont une moyenne de 45%.

Bien que son apparence soit moins caractéristique que celle du mâle hippie, on la repèrera facilement en demandant à tous comment ça va : elle sera la seule à y répondre franchement - elle est d’ailleurs la seule à dire les chose franchement – et elle dévoilera des recommandations de son psy (voir qu’il serait temps pour elle de se reposer et de s'acheter un soutien-gorge). Elle mettra minutieusement en application ces ordonnances et le midi, on pourra la voir errer en rêvassant sur le terrain devant le cégep, parfois une plante en pot dans les bras. Malgré cela, elle épuisera sa banque de congés de maladie en quelques semaines.

Elle prendra sa retraite doucement, heureuse de vivre malgré les trois burnouts de sa carrière. Lui mourra d'une crise de foie aiguë deux ans avant la retraite.

Demain: le colonel

dimanche 15 octobre 2006

Un Prof près de chez vous, première partie : le bobo

Le professeur de français au cégep* est une espèce fragile que seul le milieu de travail hyper syndiqué des cégeps a su préserver d’une disparition certaine. Il a parfois la santé fragile – comme en fait foi son niveau élevé d’absentéisme - mais il a le teint frais de celui qui sort de chez-soi régulièrement. De l’extérieur, cette espèce semble monolithique, taillée d’un bloc du même bois… Que nenni! Dès qu’on s’approche des éléments qui la composent, ces derniers qui semblaient de loin tissés serrés prennent des airs d’électrons déments qui s’entrechoquent par orgueil ou, plus probablement, par ennui.

Alors quels sont ces électrons qui composent cet atome à la fois fragile et résistant?
Je tenterai d'en faire le tour au cours des prochains blogues.
À tout seigneur tout honneur, je commencerai par les deux piliers, voire les fondateurs-mêmes du département de français : le bourgeois-bohème (le bobo) et le hippie (à suivre).

Aujourd'hui: le bobo.

Le bobo se prénomme habituellement André.
André s’est retrouvé au cégep dès ses débuts (en 1970) parce qu’il voulait aider à soutenir une poutre lors de sa construction et qu’il n’a su partir par la suite. On l’entend souvent dire que c’est grâce à lui si le département participe à telle ou telle activité, que les profs ont accès à tel ou tel matériel. Selon la rumeur, il a fréquenté plus d’une professeure du même cégep au cours de sa carrière, et il a une amitié indéfectible avec une belle du département de théâtre avec qui on le voit en soirée au centre-ville, mais bien malin celui qui pourra déclarer avec certitude s’il est gay ou non. Le regard amusé, la voix sûre et posée, André est capable de discuter sports, musique et actualité en même temps, ce qu’il fait nonchalamment en butinant d’un bureau de professeurs à l’autre, quand il n'est pas occupé à papoter de tout et de rien avec les dizaines d'étudiants qui passent le voir comme ça, pour rien, pour jaser de la dernière galette d'Eminem (qu'André a bien sûr achetée) ou de la prose de Jean Leloup-Leclerc.

Le bobo ne semble jamais avoir de cours à préparer ni de corrections à faire. Quant à son enseignement, André réussit à remplir quinze semaines de cours avec les mêmes livres depuis toujours malgré les huit changements de programmes ministériels, un vieux film d’auteur et une boîte de céréales pour le volet poésie.

Il est le seul de son âge à connaître les marques de vêtements à la mode et à s’en revêtir sans avoir l’air de souffrir d'un pathétique jeunisme.

Rien ne semble venir à bout de sa souriante quiétude et, avec un peu de chance, André prendra sa retraite avant de se casser une hanche en ski alpin.

Demain: Le hippie.

* Collège d’Enseignement Général Et Professionnel. Équivalent québécois de la dernière année du bac et de la première année universitaire françaises. Niveau tampon entre l’école secondaire et l’université, sauf pour son volet professionnel qui forme des policiers, des hygiénistes dentaires et des infirmiers, pour ne nommer que ceux-là.

lundi 13 mars 2006

Guide de la femme enceinte (ou ce que les livres ne disent pas)

1- Dans le métro et l’autobus, personne ne se lèvera pour vous céder sa place. Il y aura bien quelques zigotos pour le faire, mais ils seront rares et probablement habillés d’un veston arborant un insigne religieux. Ne comptez pas sur la légendaire sympathie féminine; les femmes font aussi semblant de dormir ou de lire quand elles voient un ventre gonflé. Demandez à voix haute une place, ce devrait suffire pour réveiller un peu d’humanité chez certains. Sinon, frappez; votre statut vous offre une certaine impunité;

2- La photo de femmes enceintes épanouies, heureuses et bien dans leur peau que l’on voit dans les guides est représentative d’une réalité qui dure quelques jours par mois, lors des troisième et quatrième mois. Les femmes enceintes de neuf mois pleines de bonheur que l’on voit dans la littérature ne sont pas vraiment enceintes et/ou sont grassement payées pour sourire en regardant le ciel (elles sont les conjointes de ces hommes en caleçons pointant l’horizon dans les catalogues);

3- Vous connaissez ce clown-jouet gonflé qui revient toujours debout peu importe ce qu’on lui fait? La femme enceinte en est le contraire absolu : elle tient difficilement debout et revient toujours couchée, sauf lors des quelques jours des mois cités précédemment;

4- La femme enceinte comprend pourquoi les obèses aveugles n’ont pas de coupe brésilienne;

5- Mesdames, votre homme vous aime et vous trouve attirante même si vous êtes enceintes. C'est l'idée d'être épié par le trou de la serrure qui ne l'enchante guère.

mardi 21 février 2006

Accent grave

Si vous demandez à Carlos depuis quand il vit au Québec, il vous dira depuis toujours. En fait, il est arrivé ici à l'âge de huit ans. Il sacre, il écoute le hockey et il a pratiquement connu le Rosemont du temps où il y avait encore des champs. De voir son visage rond de descendant maya gober de la poutine avec des commentaires de connaisseur surprend et amuse. Ça rassure un peu, aussi. Malgré cette intégration, Carlos cultive jalousement son accent d'Amérique centrale, un accent prononcé, une carte postale sonore d’un Salvador lointain qui lui fait dire «Salou!», une salutation qu’il fait souvent suivre d’un «Yé soui conntennt dé té vouâr!» qui rend immanquablement joyeux. Avec Carlos, il y a toujours plus de sourire et de voyelles qu’il n’en faut.

Carlos ne veut jamais retourner au El Salvador; «Cé payss né mérite pas mes souliers». Peu avant de venir vivre ici, des factions anti-communistes soutenues par les Américains ont tué son père, ses oncles, sa grand-mère. «Ils ont découpé ma grande-mère et ils ont laissé les morceaux sour lé bord dé la route.» Puis entre deux gorgées, presque pour lui-même, il ajoute : «On né fait pas ça a son peouple.»

Malgré les cheveux noir jais, malgré le teint ensoleillé à l’année, Carlos n’est plus salvadorien. Il vit au Québec, jalousement, entièrement. Mais quand il parle, tout le monde entend sa grand-mère et son père.
Il y a des accents plus graves que d’autres.

vendredi 13 janvier 2006

Prêt à emporter

Le mercredi soir, devant son reflet entre une photo déjà jaunie de son feu mari et une boîte à bijoux qui ne sait plus jouer de la musique, ma voisine Yvette se pomponne pour sa soirée de bingo; une boîte d'épingles à cheveux, un tube de rouge à lèvres écarlate, une tasse de fond de teint deux tons trop pâle, un demi-litre de parfum bon marché probablement acheté en vrac. Chaque fois, quand je vois Yvette partir en taxi, je me dis que si elle meurt dans la soirée, c’est l’embaumeur qui sera content de voir arriver du travail déjà fait. Pour lui, la recevoir serait un peu comme si un bûcheron entrait dans une forêt de bûches... Yvette, c’est du prêt à emporter. Quand je la croise les soirs de cartes à pitons, je lui dis qu’elle embaume; ça lui fait plaisir, et dans ma barbe, je me trouve très drôle.

Ce mercredi, Yvette a gagné 240$ au bingo. C’est ce qu’elle m’a fièrement raconté en revenant chez elle. Elle se considère pas mal chanceuse. Puis elle a dû me quitter parce que ses jambes lui faisaient souffrir le martyre. Dans un sourire écarlate, elle m’a dit bonsoir avant de refermer sur elle la porte de son deux et demi où le téléphone, comme la sonnette, ne résonne jamais.

dimanche 4 juillet 2004

Elle

Elle joue la précieuse,
Elle fait la petite fille,
Elle a trop d'énergie le matin,
Elle a fait trop de guerres,
Elle tente de séduire, toujours,
Elle force les pièces du casse-tête pour qu'elles s'emboitent,
Elle est impatiente,
Elle est jalouse,
Elle est possessive,
Elle est contradictoire,
Elle m'aime,
Elle me manque.